«Si les parents s'engagent trop impulsivement, ils perdent l'enfant».
Monsieur Zahn, êtes-vous de plus en plus confronté à des cas de cyberharcèlement dans le cadre du conseil en matière de médias et d'éducation ?
Ce que je constate, c'est plutôt un durcissement. Par exemple, le cyberharcèlement se produit souvent dès les premières classes de l'école primaire. Ces enfants n'ont souvent pas encore la résilience des adolescents, qui peuvent au moins réagir par un "Idiot, vas-y ! Nous constatons également une sexualisation croissante.
Les enfants remarquent : Je suis quelqu'un quand je me fais remarquer. Et si je fais des choses extrêmes, j'ai plus de chances de me faire remarquer.
Nous avons eu récemment un cas où des enfants ont forcé d'autres enfants à se déplacer comme dans un film porno. Ils ont filmé cela et l'ont utilisé contre les personnes concernées. Ce genre de choses n'existait pas auparavant.
Pourquoi la situation s'est-elle aggravée ?
Aujourd'hui, de nombreux enfants reçoivent plus tôt un smartphone. Ils y voient parfois des choses qui ne correspondent pas à leur âge. De plus, les algorithmes poussent les contenus, même inappropriés, s'ils génèrent des clics. Parallèlement, les enfants ressentent très tôt l'économie de l'attention qui caractérise notre société. Ils remarquent : Je suis quelqu'un si je me fais remarquer. Et si je fais quelque chose d'extrême, j'ai plus de chances de me faire remarquer.

Ceci à un âge où ils essaient des choses et cherchent des limites.
Oui, et encore sans un système de valeurs clairement intériorisé. Mais celui-ci semble également vaciller chez de nombreux adultes, si l'on en juge par la rudesse du ton employé sur la toile. Les enfants s'en rendent compte et testent eux-mêmes l'effet d'une déclaration homophobe. Bien sûr, ils ne savent pas ce qu'ils disent. Mais c'est quand même problématique. Autrefois, on gribouillait des slogans sur les murs. Aujourd'hui, on les écrit sur le web.
Que peuvent faire les parents pour protéger leur enfant contre la cyberintimidation ?
Ils devraient tout d'abord être conscients de leur rôle de modèle. Ils doivent donc se demander comment ils naviguent eux-mêmes en ligne et donner l'exemple de ce qu'ils souhaitent pour leurs enfants. Sinon, il est difficile de donner des conseils universels. Je conseillerais aux parents stricts qui contrôlent tout ou qui n'autorisent pas l'utilisation d'un téléphone portable pendant une longue période d'aborder la question de manière plus calme.
Ne pas autoriser l'utilisation d'un téléphone portable ou trop le contrôler comporte donc aussi des risques ?
C'est un fait que les médias et leur utilisation sont devenus un facteur d'intégration sociale pour les enfants à partir d'un certain âge. Cela peut paraître étrange, mais un enfant peut aussi ne pas être assez en ligne. S'il ne peut pas participer à la discussion, il est en dehors du coup. S'il lui arrive de faire des bêtises en ligne, il n'osera pas non plus aller voir ses parents, qui sont très sévères.
Mais le laisser-faire en matière d'éducation aux médias n'est pas non plus une solution.
C'est vrai. Un téléphone portable est un objet puissant et son utilisation doit être apprise. Il est préférable que les parents laissent leur enfant découvrir le monde des médias tout en l'accompagnant. Ils devraient s'asseoir plus souvent avec lui et regarder ensemble les applications et les possibilités. Ils peuvent également lui montrer comment mettre un profil en mode privé, comment bloquer ou signaler quelqu'un.
Notre expérience le montre : Les familles qui se défendent sont de «moins bonnes victimes».
Les parents devraient clairement faire comprendre à leur enfant qu'il peut venir les voir pour n'importe quel problème. Ou à l'enseignant ou à l'assistant social de l'école. Il doit savoir qu'il peut demander de l'aide à tout moment. Et que l'on ne s'énervera pas ou que l'on n'interdira pas le téléphone portable.
Souvent, un enfant ne dit pas à ses parents qu'il est victime de harcèlement. Comment les parents s'aperçoivent-ils que quelque chose ne va pas ?
Le comportement d'un enfant victime de harcèlement peut changer. Parfois, il s'agit de petites choses. Peut-être va-t-il à l'école de plus en plus tard pour ne pas devoir passer du temps dans la cour de récréation. Ou alors, il ne mange plus correctement, ne dort pas bien ou semble déprimé.
Que faire si les soupçons de cyberharcèlement se confirment ?
On pose des questions, en toute objectivité, et on évoque le harcèlement moral comme cause possible du changement de comportement. Si l'hypothèse est correcte, on essaie de comprendre ce qui s'est passé. Pour échapper à l'impuissance, nous conseillons aux parents de faire appel à un soutien professionnel. Il est également utile d'établir un protocole avec les incidents, si possible avec des captures d'écran. Parallèlement, les parents devraient respecter le fait que leur enfant ne veuille pas en parler davantage dans un premier temps. Dans une telle situation, les enfants ont besoin de beaucoup de normalité pour recharger leurs batteries.
Y a-t-il des choses que les mères et les pères ne doivent absolument pas faire ?
Souvent, les parents veulent résoudre le problème immédiatement. «Nous appelons maintenant les Müller et leur disons que ce n'est pas possible !» Si l'on intervient de manière aussi impulsive, on a perdu l'enfant. Au lieu de cela, il faut montrer du respect pour sa peur légitime qu'un appel aux parents de l'auteur des brimades ne fasse qu'empirer les choses. Il est préférable que l'étape suivante consiste à contacter l'enseignant et à lui demander ce qu'il a observé.
Dans quel cas est-il conseillé de faire appel à la police ?
Ce qui est interdit hors ligne l'est également en ligne. Il s'agit notamment des insultes graves, des menaces, de la contrainte, du chantage, de la diffusion de contre-vérités ou de commentaires contre la couleur de peau ou l'orientation sexuelle. Si de telles choses se sont produites en ligne, il peut être utile de porter plainte. De nombreux parents craignent qu'une plainte n'aggrave la situation. Notre expérience montre toutefois que les familles qui se défendent sont de «pires victimes».
Les écoles jouent leur rôle, mais avec plus ou moins de succès en raison de ressources parfois insuffisantes.
Comment réagir si mon enfant est lui-même victime de mobbing ?
Même dans ce cas, il est important de demander d'abord objectivement : «Que s'est-il passé ?» Même si l'enfant a vraiment fait une bêtise, il ne faut pas immédiatement interdire le téléphone portable. Il est plus efficace de lui faire comprendre qu'une telle chose n'est pas possible et d'explorer le motif derrière le harcèlement. Si l'on peut y répondre de manière adéquate, cela sera plus durable que n'importe quelle sanction.
Le cyberharcèlement doit être abordé là où il se produit, disent les spécialistes. Les écoles en font-elles assez ?
Les écoles ne peuvent que réagir aux évolutions et sont donc parfois à la traîne. Le plan d'études 21 a introduit l'enseignement des médias dans toute la Suisse. Et le travail social à l'école a été renforcé. Ce sont quelques-unes des nombreuses mesures nécessaires pour lutter contre le cyberharcèlement. Les écoles jouent leur rôle, mais avec des résultats variables en raison de ressources parfois insuffisantes. C'est pourquoi nous devrions poser les jalons politiques de manière à ce que les moyens soient suffisants. En fin de compte, c'est nous, en tant que société, qui sommes responsables de la protection de nos enfants.