«Adolescence» – une provocation qui vaut le détour
À ce jour, «Adolescence» est l'une des séries Netflix les plus populaires de tous les temps. Avec plus de 100 millions de vues en streaming à travers le monde, elle devance les séries américaines les plus connues depuis son lancement en mars 2025 et suscite de nombreux débats.
La série a touché une corde sensible : que savent réellement les parents de ce que font leurs enfants avec leur ordinateur et leur smartphone ?
Pourtant, cette production britannique ne mise ni sur des superstars connues ni sur des scènes d'action spectaculaires. Apparemment, cette série en quatre épisodes a touché une corde sensible : que savent réellement les parents et les éducateurs sur ce que font leurs enfants avec leur ordinateur et leur smartphone? Que peut-il se passer lorsque les parents ignorent les signaux d'alerte et que leurs enfants dérivent à leur insu vers des communautés radicales en ligne ?
À première vue, la série peut ressembler à un polar ordinaire. En réalité, « Adolescence » est un drame extrêmement bouleversant et exigeant – et une provocation qui vaut le détour.
De quoi s'agit-il ?
Au début du premier épisode, Jamie Miller, 13 ans, est arrêté pour le meurtre d'une camarade de classe. Le garçon clame son innocence, mais une vidéo de surveillance le montre en train de commettre le crime avec un couteau.
Au début, la police ignore tout des motivations du meurtrier. Mais il devient vite évident que la victime harcelait et humiliait son agresseur sur Internet. Dans un épisode clé, une psychologue expérimentée explore les abîmes psychologiques de Jamie et atteint ses limites personnelles. Le dernier épisode montre les conséquences tragiques pour les parents et la sœur aînée de Jamie.
Qu'est-ce qui rend cette série si intense ?
Si « Adolescence » peut avoir un effet aussi oppressant et intense, c'est avant tout grâce à son style narratif particulier. Chacun des épisodes d'une heure se déroule en temps réel et a été tourné en une seule prise, sans montage. Cela confère non seulement un rythme soutenu à la série, mais plonge également les spectateurs encore plus profondément dans l'intrigue. On se sent alors presque effrayant tant on se sent proche des protagonistes.
Une autre raison réside dans le contexte réel de cette histoire fictive. En 2020, deux jeunes filles ont été assassinées en Angleterre par des adolescents. Cela a donné à l'acteur et scénariste Stephen Graham l'idée d'une mini-série, qu'il a développée avec son co-auteur Jack Thorne.
Bien sûr, la série est exagérée. Tous les adolescents rejetés par une fille ne se radicalisent pas sur Internet pour devenir ensuite des meurtriers.
Ces chiffres récents montrent à quel point ce sujet est d'actualité : en 2023/24, les actes de violence commis à l'arme blanche par des jeunes anglais ont augmenté de 9 %. De nombreux enfants et adolescents ont été hospitalisés pour des blessures par arme blanche, 40 sont décédés.
Bien sûr, « Adolescence » est une exagération dramaturgique. Tous les adolescents rejetés par une fille ne se radicalisent pas sur Internet pour devenir ensuite des meurtriers.
Quelle influence peut avoir Internet sur ces actes violents ?
Il existe sur Internet des termes et des mouvements dont beaucoup de parents n'ont probablement jamais entendu parler. Dans « Adolescence », Jamie, victime d'un meurtre, a été ouvertement ridiculisé sur les réseaux sociaux par tous ses camarades de classe qui le qualifiaient d'« incel ». Il s'agit de l'abréviation de « involuntary celibate », qui signifie « célibataire involontaire ».
Les incels sont des hommes qui n'ont aucun succès auprès des femmes. La frustration qui en résulte s'est désormais transformée en une véritable sous-culture sur Internet, qui rend les femmes et le mouvement d'émancipation responsables de leur célibat. C'est pourquoi leurs représentants s'expriment en ligne de manière particulièrement agressive, extrêmement misogyne et n'hésitent pas à fantasmer sur des actes de violence extrême.
Les incels sont associés à ce qu'on appelle la « manosphère ». La manosphère est une culture en ligne diffusée via des forums, des blogs et les réseaux sociaux, qui prône une masculinité prétendument supérieure et se caractérise par une misogynie, un sexisme et une haine exacerbés. Ce mélange dévastateur séduit particulièrement les jeunes hommes et peut conduire à leur radicalisation.
Andrew Tate est l'une de leurs idoles principales. Cet influenceur et ancien kickboxeur touche un public de millions de personnes avec ses propos controversés sur TikTok, Instagram et YouTube. Il est un modèle pour les jeunes hommes en quête de repères. C'est ce que suggère la série en streaming, sans toutefois le nommer explicitement.
Le laisser-faire ne paie pas. Les jeunes n'interprètent pas cela comme de la générosité, mais comme de l'indifférence.
Les influenceurs de la masculinité toxique ne sont pas seulement un sujet dans les pays anglophones – ici aussi, le débat fait rage. « Les messages de haine qu'ils diffusent s'adressent à des garçons encore malléables », a récemment déclaré le conseiller national Christophe Clivaz (Verts, VS) dans les journaux Tamedia. « Ce n'est pas une anecdote – il est urgent d'agir. »
Quelles leçons les parents peuvent-ils en tirer ?
Dans « Adolescence », les parents ne faisaient rien lorsque leur fils de 13 ans restait devant son ordinateur après minuit. Les enfants et les adolescents ont besoin de limites claires en matière d'utilisation des médias, tant sur le plan du contenu que du temps passé, et ils ont besoin de dormir. Le laisser-faire ne paie pas. Les jeunes n'interprètent pas cela comme de la générosité, mais comme de l'indifférence.
Dans une autre scène clé, le policier est confronté à son fils, qui est encore à l'école, qui lui fait remarquer qu'il n'interprète pas correctement les emojis dans l'historique des discussions et qu'il ne parvient donc pas à comprendre le mobile du meurtre, à savoir la moquerie.
Pour les adultes, il est toutefois difficile, voire impossible, d'avoir une vue d'ensemble de tous les codes de la culture adolescente. En échangeant régulièrement avec les enfants, chacun pourrait toutefois se tenir au courant de ces sujets. Car les emojis sont et restent un élément important de la communication des jeunes . Ils permettent d'exprimer des sentiments lorsque les mots manquent.
« Adolescence » peut avoir un effet préventif et fournir des occasions importantes de discuter. Mais la série peut aussi être bouleversante, déranger, voire traumatiser.
Une autre conclusion tirée de « Adolescence » concerne le climat scolaire. Le harcèlement entre élèves est monnaie courante dans l'école décrite. Les enseignants réagissent de manière inappropriée, impuissants ou se dérobent. Le harcèlement peut avoir de nombreuses causes. Mais lorsqu'il y a un manque de sécurité et de reconnaissance à l'école, cela peut renforcer la frustration et l'agressivité chez les jeunes.
Devrions-nous regarder « Adolescence » avec les enfants ?
La série est interdite aux moins de 12 ans. En Angleterre, « Adolescence » est diffusée gratuitement dans les écoles depuis que le Premier ministre Keir Starmer l'a regardée avec ses enfants. Si « Adolescence » doit servir à dissuader, de telles projections sont plutôt contre-productives.
Mais s'il existe un cadre dans lequel la réflexion est encouragée par les adultes, rien ne s'y oppose. « Adolescence » peut avoir un effet préventif et fournir des occasions importantes de discussion. Il convient toutefois de tenir compte de la maturité des jeunes, car dans le pire des cas, la série peut les dépasser, les perturber, voire les traumatiser. Les parents devraient dans tous les cas la regarder d'abord seuls, puis décider ensuite s'ils souhaitent en discuter avec leurs enfants et, le cas échéant, sous quelle forme.