Notre estime de soi est-elle innée ?
Monsieur Orth, de nombreuses personnes pensent que l'estime de soi est innée. Est-ce vrai ?
L'estime de soi est en effet en partie innée. Toutefois, les facteurs environnementaux jouent un rôle un peu plus important que les gènes. Les expériences sociales, notamment, ont une influence marquante, par exemple les relations d'un enfant avec ses parents et ses pairs ou, plus tard, à l'âge adulte, la qualité des partenariats, des amitiés et l'intégration sociale générale de la personne.
Il n'y a donc pas de gène de l'estime de soi ?
Non. Certaines caractéristiques humaines, telles que la personnalité, l'apparence et la santé, sont influencées par une multitude de facteurs génétiques. Ces caractéristiques génétiques déterminent ensuite en partie les nombreuses expériences qu'une personne fait au cours de sa vie. Les personnes compatibles, intelligentes et socialement compétentes sont plus susceptibles d'être appréciées par les autres et de développer par la suite une meilleure estime de soi que les personnes qui sont moins appréciées.

à l'Université de Berne. Ses recherches portent principalement sur l'estime de soi et le développement de la personnalité. (Photo : Oliver Oettli)
Vous avez récemment publié une étude sur l'influence des parents sur l'estime de soi. Quels en sont les principaux résultats ?
Pour ce travail, j'ai utilisé les données d'une étude à long terme représentative de la population américaine, dans laquelle plusieurs milliers d'enfants ont été suivis de la naissance à l'âge adulte. Les résultats ont montré que la qualité du comportement parental était le meilleur moyen de prédire l'estime de soi ultérieure des enfants. En outre, les analyses ont suggéré que l'environnement familial précoce avait un effet à long terme. L'influence s'est certes quelque peu réduite au cours du développement, mais elle n'a pas disparu et était encore observable à l'âge adulte.
Les expériences de la petite enfance peuvent donc façonner l'estime de soi d'une personne tout au long de sa vie ?
C'est exact. Toutefois, l'influence de la petite enfance n'est pas déterministe : une évolution positive est possible même si les conditions familiales sont défavorables, tout comme, à l'inverse, une évolution problématique est possible malgré de bonnes conditions familiales.
En tant que parents, on a souvent l'impression que les jeunes enfants ont une grande confiance en eux. Est-ce vrai ?
On a longtemps supposé que la perception de soi à l'âge de quatre ou cinq ans avait tendance à être exagérément positive, que l'image de soi commençait à devenir plus réaliste à partir de l'entrée à l'école environ et que cela entraînait des pertes d'estime de soi chez de nombreux enfants. Les recherches montrent toutefois que ce n'est pas le cas. Typiquement, l'estime de soi augmente entre l'âge préscolaire et l'âge de dix à douze ans environ, puis se maintient à ce niveau pendant les années de puberté.
Ceux qui, à 16 ans, font partie de ceux qui doutent beaucoup d'eux-mêmes ont souvent une estime de soi un peu plus faible, même à 30 ou 50 ans.
L'adolescence n'est donc pas une période de crise pour l'estime de soi ?
Bien sûr, il y a des jeunes dont l'estime de soi atteint son point le plus bas à la puberté . Mais en même temps, il y a aussi des adolescents qui développent une meilleure acceptation de soi à cet âge. Le bien-être des adolescents n'est souvent pas aussi mauvais qu'on le pense. L'idée que l'estime de soi atteint son point le plus bas à la puberté pourrait être liée au fait qu'à cet âge, elle varie davantage d'un jour à l'autre que ce n'est le cas à l'âge adulte. Chez les adolescents, il n'est pas rare qu'une dispute avec des amis ou un examen raté provoque temporairement un fort manque de confiance en soi.
Comment l'estime de soi évolue-t-elle après la puberté ?
Plus tard, à l'adolescence et à l'âge adulte, l'estime de soi continue généralement à augmenter jusqu'à l'âge de 60 ou 70 ans environ, des événements de la vie tels que le début d'une relation de couple, une séparation ou une maladie grave pouvant influencer l'évolution individuelle. Ce n'est qu'à un âge avancé que l'estime de soi diminue à nouveau légèrement, de manière typique.
Pourquoi l'estime de soi se renforce-t-elle au fil des ans ?
Au fil de leur développement, la plupart des jeunes et des adultes trouvent de mieux en mieux la place qui correspond à leur personnalité, à leurs capacités, à leurs attitudes et à leurs intérêts, tant sur le plan professionnel que privé. C'est probablement l'une des principales raisons pour lesquelles l'estime de soi augmente pendant une grande partie de la vie. Il s'agit toutefois de changements qui s'étalent sur de nombreuses années. En règle générale, l'estime de soi ne connaît pas de changements radicaux. Cela signifie qu'une personne qui, à 16 ans, fait partie de celles qui doutent beaucoup d'elles-mêmes, aura souvent une estime de soi un peu plus faible à 30 ou 50 ans, du moins par rapport à son groupe d'âge.
Avoir une bonne estime de soi, c'est aussi s'accepter avec toutes ses forces et ses faiblesses.
Nos relations sociales ont un grand effet sur notre estime de soi, plus grand que le travail et la profession ?
Oui. Cela confirme une méta-analyse sur le rôle des relations sociales que nous avons récemment menée dans mon groupe de travail. Les résultats ont montré que les relations sociales et l'implication sociale ont une influence significative sur l'estime de soi à tous les âges de la vie.
Il est intéressant de noter que le lien entre les relations sociales et l'estime de soi est réciproque. En d'autres termes, de bonnes relations sociales favorisent l'estime de soi et, parallèlement, une bonne estime de soi permet d'améliorer encore l'intégration sociale. Malheureusement, cela signifie également que les personnes ayant une faible estime de soi peuvent entrer dans un cercle vicieux de doute de soi et d'expériences sociales négatives. Il est donc d'autant plus important de promouvoir l'estime de soi chez les enfants et les adolescents.
L'estime de soi dépend-elle du sexe ?
Les garçons et les hommes ont en moyenne une estime de soi légèrement plus élevée que les filles et les femmes. Toutefois, cette différence est vraiment minime. Il y a beaucoup de filles qui ont une bonne estime de soi et, inversement, des garçons qui ont une faible estime de soi. Les expressions se chevauchent considérablement. En outre, la recherche montre que le sexe n'a pas d'influence significative sur l'évolution de l'estime de soi, c'est-à-dire que les garçons, tout comme les filles, évoluent typiquement vers une plus grande acceptation de soi au cours de leur développement.
Le doute de soi est-il une mauvaise chose ?
Le doute de soi n'est pas nuisible en soi. Mais une faible estime de soi est malheureusement un facteur de risque pour le développement de problèmes dans les relations sociales, à l'école, au travail et pour l'apparition de dépressions. Avoir une bonne estime de soi, c'est aussi s'accepter avec toutes ses forces et ses faiblesses. Il convient donc d'aider certains enfants et adolescents à développer une approche constructive et bienveillante d'eux-mêmes.