Arriver après la guerre et la fuite

Lorsque les enfants vivent la guerre et doivent fuir, ils laissent beaucoup de choses derrière eux. Ils emportent souvent avec eux la peur et la tristesse, mais aussi l'espoir. Une fois arrivés dans leur nouvelle patrie, ils doivent surmonter de nombreux obstacles. Un reportage sur les enfants, les enseignants et les thérapeutes qui entreprennent de nombreuses choses pour surmonter le traumatisme.

Les impressions se fixent en nous. Tout le monde connaît des stimuli qui parviennent à notre mémoire par le nez, les oreilles ou les yeux. Ainsi, l'odeur de l'herbe fraîchement coupée peut éveiller des images intérieures, des sentiments, par exemple des heures joyeuses passées à jouer au football, des journées d'été à la piscine en plein air ou des vacances à la ferme. Certaines de ces impressions deviennent une partie de notre identité. Et elles remontent loin dans l'enfance.

Susanne Attassi a fondé le centre de thérapie traumatique Happiness Again à Amman, en Jordanie. Découvrez dans l'interview qu'elle nous a accordée les missions du centre : "Certains ont vu leur père ou leur mère se faire tuer".
Susanne Attassi a fondé le centre de thérapie traumatique Happiness Again à Amman, en Jordanie. Découvrez dans l'interview qu'elle nous a accordée les missions du centre : "Certains ont vu leur père ou leur mère se faire tuer".

Certains enfants voient leurs parents ou leurs proches déchiquetés par des bombes, torturés ou enlevés. Ces impressions peuvent également s'enraciner, voire traumatiser. On parle de traumatisme lorsque des personnes vivent une menace existentielle et qu'elles en sont désespérées. Susanne Attassi, du centre de thérapie traumatique Happiness Again à Amman, en Jordanie, parle d'enfants syriens qui ont vu «leur père ou leur mère se faire tuer». D'autres ont été victimes de viols.

Le traumatisme comme compagnon permanent

Les spécialistes appellent trouble de stress post-traumatique (TSPT) une forme de trouble consécutif à un traumatisme, caractérisé par des troubles persistants. Il se manifeste par exemple par des «flashbacks» incontrôlables. Il s'agit d'images dans l'œil intérieur, de scènes traumatiques qui surgissent brusquement. Celles-ci peuvent être réveillées par des stimuli soudains, comme des bruits ou des odeurs, qui sont associés à des souvenirs traumatiques. Un stress psychique et physique important en est la conséquence. Les personnes atteintes de PTSD souffrent de tensions constantes, d'irritabilité, de problèmes de sommeil et de difficultés de concentration. La dépression, les troubles anxieux, la toxicomanie ou un risque accru de suicide peuvent également être associés à cette pathologie.

Le champ de tensions des enfants réfugiés syriens

En cas de traumatisme de guerre, la probabilité d'un PTSD augmente considérablement. Outre les expériences de guerre elles-mêmes, les expériences de fuite peuvent également être traumatisantes.

Matthis Schick est directeur du Service ambulatoire pour victimes de la torture et de la guerre à l'Hôpital universitaire de Zurich.
Matthis Schick est directeur du Service ambulatoire pour victimes de la torture et de la guerre à l'Hôpital universitaire de Zurich.

La gestion des traumatismes diffère entre les personnes âgées et les plus jeunes. «Les enfants sont certes plus vulnérables, mais aussi plus aptes à apprendre et à s'adapter que les adultes», explique Matthis Schick, directeur du Service ambulatoire pour victimes de la torture et de la guerre à l'Hôpital universitaire de Zurich. Mais le traumatisme des parents peut également générer une charge et des conflits chez les enfants, par exemple lorsque les parents sont irritables, impulsifs ou émotionnellement injoignables. Des tensions peuvent également apparaître lorsque le traumatisme affecte davantage les parents et qu'ils ne parviennent pas à s'intégrer. Des conflits de valeurs peuvent en résulter. Par exemple, lorsque les enfants syriens changent de style vestimentaire dans leur nouvel environnement.
En outre, les enfants sont plus souvent confrontés à des conflits de rôles : ainsi, parce qu'ils maîtrisent souvent plus rapidement la langue, ils assument très tôt la responsabilité de leurs parents. En effet, sans le soutien de leurs enfants, de nombreux parents ne peuvent pas effectuer de démarches administratives ou se rendre chez le médecin. Les spécialistes appellent cet effet la «parentification» des enfants. Enfin, les enfants peuvent être confrontés à des conflits de conscience et à la pression des attentes : par exemple lorsque les parents expriment le fait que, contrairement aux enfants, tout leur a été retiré dans leur ancien pays d'origine. Les enfants doivent maintenant saisir toutes les chances qui s'offrent à eux dans leur nouvelle patrie.

Arriver dans sa nouvelle patrie, avec de lourds bagages

Mais outre la dynamique parents-enfants, d'autres obstacles s'opposent à l'intégration des familles de réfugiés. Même dans un pays sûr et stable comme la Suisse, comme le décrit Matthis Schick : «Des facteurs tels qu'un statut de séjour incertain, des difficultés d'intégration sociale et linguistique, la séparation des proches et des conditions de logement précaires pèsent lourdement sur le plan psychopathologique. Ces facteurs de stress génèrent un stress post-migratoire qui pèse lourd et augmente le risque de maladies psychiques». Le fait que de nombreux réfugiés ne bénéficient pas d'un traitement des traumatismes est également problématique. La souffrance psychique, mais aussi les expériences traumatiques sous-jacentes, sont souvent fortement stigmatisantes. Cela signifie que les personnes concernées ont honte et craignent l'ostracisme social. Il est «très touchant de voir avec quel effort le traumatisme est parfois caché, bien que les symptômes soient très forts». Par exemple, lorsque les personnes concernées paniquent dès qu'on sonne à la porte. C'est pourquoi il faut instaurer la confiance avant de pouvoir commencer une thérapie traumatique. Même vis-à-vis des institutions publiques. Car en Syrie, les enfants et leurs parents ont vu l'État persécuter, torturer et tuer. Dans un premier temps, il est possible d'instaurer cette confiance par le biais des travailleurs sociaux et des enseignants. Ce sont eux qui ont un accès durable et décisif aux familles.

Le quotidien scolaire des enfants réfugiés

L'école joue donc un rôle central pour les enfants réfugiés. Elle fournit une structure journalière et des contacts sociaux. Ces deux ressources offrent aux enfants des avantages dont les parents sont largement privés. En effet, ces derniers vivent généralement isolés dans un centre de réfugiés, sans travail ni cercle d'amis, au milieu de la procédure d'asile.

Maram, qui a fui la Syrie pour la Suisse à l'âge de 12 ans, se souvient : «Dans ma classe, il n'y avait personne d'origine arabe avec qui j'aurais pu parler. Au début, j'avais donc très peur et une très faible confiance en moi, je doutais beaucoup de moi. J'avais toujours peur de faire des erreurs».

Maram a fui la Syrie à l'âge de 12 ans pour venir en Suisse.
Maram a fui la Syrie à l'âge de 12 ans pour venir en Suisse.

L'une des clés tant de l'intégration que de la thérapie des traumatismes est la langue allemande. Markus Busin, enseignant dans le quartier de la Langstrasse à Zurich, se souvient qu'il y a environ 15 ans, il existait encore des «classes d'accueil». Celles-ci ne regroupaient que des enfants venus de l'étranger, qui suivaient un enseignement parallèle aux classes régulières. Elles étaient dirigées par des enseignants expérimentés et avaient pour objectif de permettre aux enfants de rejoindre l'enseignement normal. De telles classes existent encore aujourd'hui de manière isolée, par exemple lorsqu'il s'agit d'un groupe important d'enfants concernés. Mais en général, les enfants vont directement dans les classes régulières, dans le bâtiment scolaire le plus proche. Ils y reçoivent par exemple des cours d'allemand supplémentaires ou sont accompagnés par des assistants d'enseignement.

Les défis de l'intégration

«On se fait du souci lorsqu'un nouvel enfant arrive à l'école avec peu ou pas de connaissances en allemand», décrit Thomas Gerber, dont le fils Leon a eu des enfants de réfugiés syriens dans sa classe. «Mais je ne m'inquiète pas de savoir si cela pourrait nuire à la qualité de l'enseignement».

Pour les enseignants, la consigne est claire. Ils doivent se limiter à leur rôle pédagogique, ce qui n'est pas toujours facile. «Nous ne pouvons pas traiter les traumatismes de guerre. Nous ne sommes pas formés pour cela et le cadre d'une classe n'est tout simplement pas adapté», explique Markus Busin.

Reconnaître quel enfant est traumatisé dépend de l'information préalable. Si un enfant vient d'un contexte de guerre, les enseignants sont généralement particulièrement attentifs à un éventuel traumatisme. Ce sont surtout les enfants bruyants qui sont adressés au service de psychologie scolaire. Les enfants qui n'ont pas de problèmes de comportement en classe échappent au radar et donc à la thérapie.

Léon, un camarade de classe, le décrit ainsi : «Peut-être que les enfants réfugiés étaient un peu plus craintifs et réservés que les autres enfants. Ils ne faisaient pas confiance à tout le monde, mais cela s'est amélioré avec le temps. Ce que j'ai beaucoup aimé chez eux, c'est qu'ils étaient toujours si prévenants, serviables et gentils. C'était assez spécial et cool».

Les problèmes d'intégration des enfants surviennent lorsqu'ils sont déstabilisés : par ce qu'ils ont vécu, mais aussi parce qu'ils ne parlent pas la langue. Markus Busin veille donc à ne pas exposer inutilement les nouveaux enfants. En outre, il évite de les interroger directement sur les expériences traumatisantes. Il s'assure plutôt que les enfants puissent parler plus tard de leurs expériences de leur propre chef s'ils le souhaitent.

«J'ai senti que les enseignants et les élèves avaient peur de me poser des questions sur mon passé, qu'ils étaient très réservés, presque prudents, et qu'ils pensaient probablement que j'avais moi-même peur de parler de ce que j'avais vécu», explique Maram, une enfant réfugiée.

Pour l'intégration dans la classe, les expériences communes sont parfois même plus importantes que la langue. Un camp de classe de plusieurs jours, une fête sportive ou une vente de gâteaux peuvent également permettre de créer une nouvelle identité partagée. Sans effort supplémentaire, la structure quotidienne de l'école et les expériences communes peuvent déjà offrir un espace de protection important pour les enfants. En même temps, Markus Busin voit un grand déficit dans les mesures psychologiques pour les familles de réfugiés : «Les familles et les enfants sont laissés très seuls. Je pense qu'il serait important que ces enfants reçoivent un soutien le plus rapidement possible. Il ne doit pas s'agir d'une thérapie psychologique, mais tout simplement de quelqu'un qui les aide à se réinsérer dans la vie quotidienne».

Thomas Gerber porte un jugement similaire : «On avait en quelque sorte le sentiment que l'enfant cherchait un soutien, et il l'obtenait par les enfants et non par une quelconque aide institutionnelle». Pour les camarades de classe, Thomas Gerber voit une plus-value : «Le comportement social des enfants est ainsi activé, ce qui ne serait certainement pas le cas autrement. En outre, les enfants reçoivent une toute autre image à travers les récits que celle qu'ils reçoivent des informations. Ainsi, les personnes que l'on voit au journal télévisé ne sont soudain plus des étrangers».

Traitement des traumatismes

Christina Gunsch, psychologue en chef pour la pédopsychiatrie et la psychothérapie à la clinique psychiatrique universitaire de Zurich, estime que 30 à 50 pour cent des enfants réfugiés syriens sont traumatisés. «Les personnes concernées s'inscrivent chez moi pour un traitement lorsqu'elles sont hors de contrôle à l'école». Les enfants sont agressifs ou ne peuvent pas se concentrer. L'évaluation de la situation par les enseignants est ici décisive. Pour les aider, le groupe de travail zurichois «Kind und Trauma» a publié une brochure intitulée «Flucht und Trauma». Christina Gunsch est co-auteure de la brochure. Elle y explique les traumatismes, les comportements inhabituels et les interventions possibles.

Christina Gunsch est psychologue en chef pour la pédopsychiatrie et la psychothérapie à la clinique psychiatrique universitaire de Zurich.
Christina Gunsch est psychologue en chef pour la pédopsychiatrie et la psychothérapie à la clinique psychiatrique universitaire de Zurich.

L'objectif principal de différentes approches thérapeutiques est de lutter contre la souffrance. Les méthodes thérapeutiques choisies par Christina Gunsch sont scientifiquement prouvées. Elle se jette dans la gueule du loup avec ses petits patients, car «on sait désormais qu'il faut repasser par les expériences les plus difficiles pour pouvoir guérir d'un traumatisme». Le déroulement exact de ce processus dépend de l'enfant concerné. Ainsi, certains enfants enregistrent les expériences traumatisantes. Mais écrire, rejouer ou repasser en revue les expériences en pensée peuvent également aider. Il est important de se remémorer les événements avec tous les sens : à quoi cela ressemblait-il, quelle était l'odeur, qu'est-ce que l'enfant a entendu ? De nombreux enfants suivent cette forme de thérapie sans problème pendant plusieurs semaines.

Maram, l'enfant réfugiée, aurait aimé parler davantage de la Syrie, explique-t-elle. C'est pourquoi elle a écrit son travail d'approfondissement sur ce sujet afin de raconter un peu ce qu'elle a vécu en Syrie. «Beaucoup de gens ne savent pas ce qui se passe là-bas, et j'avais simplement besoin d'en parler».

Créer des perspectives de développement

La réussite de l'arrivée des enfants et de leurs familles dans leur nouvelle patrie dépend de nombreux facteurs. Christina Gunsch et Matthis Schick partagent cette appréciation : la thérapie traumatique réussit surtout grâce à un environnement scolaire stable et au soutien de l'entourage privé de l'enfant. En outre, il est décisif d'avoir la perspective d'un avenir «viable». Si l'on parvient à donner cette perspective réalisable, on trouve des moyens de gérer le passé. Outre un environnement stable à l'école et dans la famille, il est important de promouvoir les ressources personnelles, telles que les talents et les compétences professionnelles : Donc «s'appuyer sur ce que les patients apportent et les soutenir».

Pour Maram, c'est notamment son enseignante suisse qui lui a donné le sentiment de n'être pas une étrangère. «Elle m'a beaucoup parlé, m'a dit que je ne devais pas m'inquiéter, que c'était un nouveau départ pour moi, que j'avais du talent. Cela m'a beaucoup encouragée».

Il faut éviter que les enfants de réfugiés syriens et les enfants d'autres régions en crise ne fassent partie d'une «génération perdue». Les risques et les conséquences potentielles à long terme pour les enfants comme pour la société sont trop élevés. C'est pourquoi, selon les deux experts, il est important d'assurer un bon travail préparatoire sur place : En sensibilisant déjà en Syrie et dans les pays limitrophes les parents et les enfants au travail psychiatrique et psychothérapeutique. Comme cela se fait par exemple au centre de thérapie traumatique Happiness Again à Amman, en Jordanie. En outre, selon Christina Gunsch, lors de l'admission en Suisse, il serait important de procéder à un examen psychologique en plus d'un examen physique et médical. Cela permettrait de mieux détecter les traumatismes à un stade précoce et de les traiter à temps.

Les enfants qui ont vécu la guerre ne sont pas seulement ceux qui souffrent le plus, ils portent également le poids de leur nouveau quotidien. C'est pourquoi il est essentiel de soulager ces enfants d'une partie de leur lourd bagage en cours de route et de leur offrir un regard plein d'espoir sur leur avenir.

Maram a un plan clair pour cela. «Pour l'avenir, je souhaite recevoir une bonne éducation. Je veux me sentir partie intégrante de la société. Je vais bientôt commencer une formation d'assistante médicale. Si cela fonctionne, j'aimerais devenir médecin moi-même un jour».


  • Brochure sur le sujet : Fuite et traumatisme - Gestion des réfugiés, des enfants & adolescents traumatisés dans les institutions socio-éducatives et les familles d'accueil
  • L'offre du service psychologique scolaire de la ville de Zurich (SPD) est mise gratuitement à la disposition des enfants et des jeunes qui fréquentent l'école primaire dans la ville de Zurich, ainsi que de leurs parents et de leurs enseignants.

Guerre de Syrie : faits et chiffres

Selon les Nations Unies, la guerre en Syrie, qui dure depuis 2011, a provoqué la plus grande catastrophe humanitaire depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Jusqu'à présent, la guerre a fait plus de 400000 victimes. Avec environ 13 millions de réfugiés (6 millions en dehors de la Syrie et 7 millions de déplacés internes), plus de la moitié de la population syrienne est directement touchée par la guerre. 44 pour cent des réfugiés sont des enfants et des jeunes de moins de 18 ans. Les enfants syriens de moins de 9 ans ne connaissent pas la vie sans guerre. Selon les estimations, 30 à 50 pour cent des enfants réfugiés syriens seraient traumatisés par la guerre. Alors que la Syrie était considérée avant la guerre comme un pays à haut niveau d'éducation (99,6 pour cent de taux de scolarisation primaire), plus de 4000 écoles ont été détruites depuis 2011.

Sources : UNICEF, HCR, Human Rights Watch


Betroffen vom Krieg im Herkunftsland seiner Eltern reiste Dr. Omar Kassab 2013 nach Jordanien um herauszufinden, welchen Beitrag geleistet werden kann, um die Not der wachsenden Zahl syrischer Flüchtlinge zu lindern. Daraus entstand
Touché par la guerre dans le pays d'origine de ses parents, le Dr Omar Kassab s'est rendu en Jordanie en 2013 afin de déterminer comment contribuer à soulager la détresse du nombre croissant de réfugiés syriens. C'est ainsi qu'est née la Syrian Refugee Crisis.
Dr. Patrick Jiranek ist Netzwerkmitglied der
Le Dr Patrick Jiranek est membre du réseau Syrian Refugee Crisis.