«Un attachement sûr renforce la santé mentale»
Monsieur Daum, qu'est-ce qui préoccupe un enfant de six ans du point de vue de la psychologie du développement ?
Sa pensée n'est plus axée sur de simples préférences personnelles, mais est devenue plus complexe. Son monde s'est ouvert. L'enfant sait désormais qu'il existe différentes perspectives et réalités et peut se mettre à la place d'autres personnes. Il dispose de ce que l'on appelle la «théorie de l'esprit», une performance cognitive exigeante.
Qu'est-ce que cela a de si spécial ?
Elle implique la capacité de supposer et de comprendre les sentiments, les besoins, les idées, les intentions, les attentes et les opinions chez les autres. Savoir qu'il existe d'autres réalités en plus de son propre concept de représentation.

Quand un enfant dispose-t-il de cette capacité ?
A un niveau explicite, à l'âge de quatre ou cinq ans. Les précurseurs existent déjà plus tôt, à un an et demi ou deux ans.
Quelle est l'importance de cette capacité pour le développement ultérieur ?
Des études montrent que les enfants qui se mettent facilement à la place des autres sont un peu plus rapides dans le développement du langage et en ce qui concerne d'autres états internes tels que les émotions, les sentiments et les intentions.
Quels sont les facteurs qui influencent cette évolution ?
Il y a toute une série d'aspects différents. Par exemple, les enfants doivent aussi toujours se mettre à la place d'autres personnes. Une autre base importante est l'expérience relationnelle, la relation avec les parents ou la personne de référence.
De quelle manière ?
Les jeunes enfants n'ont pas encore une capacité d'autorégulation développée, mais ont besoin de ce que l'on appelle des corégulateurs, par exemple les parents. Si, en tant qu'enfant d'un an, j'ai peur ou que quelque chose me fait mal, il est important que quelqu'un soit là pour répondre à mes besoins et à mes craintes de manière cohérente, adéquate et rapide. Si c'est le cas en permanence, cela conduit à un sentiment de sécurité. Avec l'âge, les stratégies de résolution sont de plus en plus intériorisées, de sorte que je peux de plus en plus m'aider moi-même.
Pourquoi l'engagement est-il si important ?
Si je peux compter sur une personne, je me sens en sécurité et je peux découvrir le monde sur la base de cette attitude positive. Un attachement sûr est un facteur de protection à long terme pour la santé mentale. Avec un bon attachement, la probabilité de souffrir d'une maladie psychique dans la vie adulte est par exemple plus faible. En outre, le comportement d'attachement s'inscrit également dans un contexte social. Si je dispose d'un bon comportement d'attachement, cela influence ma manière d'aborder les autres, mon empathie, ma capacité à me mettre à leur place et à les aider.
Est-ce qu'un enfant de maternelle est déjà capable de faire cela ?
C'est un processus qui commence bien avant l'âge de la maternelle et qui a besoin de soutien. Les enfants ont besoin de quelqu'un pour les aider lorsqu'ils se retrouvent dans des situations qu'ils ne connaissent pas. Par le biais de références sociales, le jeune enfant obtient l'information de ses parents afin de planifier ou d'adapter son propre comportement.
Le comportement et le développement de l'être humain se caractérisent toujours par une interaction entre l'environnement et la génétique.
A l'école maternelle, le cercle des personnes ayant valeur d'exemple s'élargit, mais les parents restent toujours la principale source d'information. En raison du manque de diversité, le comportement des parents à cet âge est quasiment une loi. En positif comme en négatif. Avoir un bon lien avec mes personnes de référence est tout à fait décisif pour ce que l'on appelle l'autorégulation.
Pourquoi ?
L'autorégulation fait partie de ce que l'on appelle les fonctions exécutives, c'est-à-dire les capacités mentales qui nous permettent de penser et d'agir de manière planifiée et qui nous aident à nous maîtriser. Une bonne autorégulation permet par exemple à un enfant de mieux se concentrer à l'école, même si quelqu'un est assis à côté de lui ou s'il y a du bruit. Cette capacité permet de travailler de manière plus disciplinée, ce qui entraîne à son tour toute une série d'autres avantages, une éducation plus poussée, d'autres possibilités professionnelles et, globalement, un statut socio-économique plus élevé.
Quel est le lien entre l'attachement et l'autorégulation ?
Les enfants attachés en toute sécurité ont un modèle de travail intérieur positif, une meilleure expression émotionnelle, une plus grande compétence et, plus tard, moins de soucis financiers. Le manque d'autorégulation peut donc également avoir des conséquences personnelles et économiques substantielles.
Peut-on s'entraîner à l'autorégulation ou est-ce une question de gènes ?
Les deux ! Le comportement et le développement de l'être humain se caractérisent toujours par une interaction entre l'environnement et la génétique. L'autorégulation et les fonctions exécutives sont toutefois des capacités cognitives très complexes. Un entraînement prometteur doit donc refléter cette complexité, et ce n'est pas si simple. Il faudrait entraîner chaque fonction cognitive individuellement, puis dans son contexte et enfin dans un contexte individuel. Un tel entraînement serait extrêmement coûteux.
Plus on parle à l'enfant, plus on lui montre des choses et plus on interagit avec lui, plus il développe des compétences linguistiques.
L'autorégulation joue-t-elle un rôle dans le fait qu'un enfant aime aller à l'école ?
Eh bien, il arrive un moment où chaque enfant n'aime pas aller à l'école. Mais on peut ne pas aimer aller à l'école ou y aller à contrecœur. Cette petite différence peut me conduire à ne pas avoir envie de faire mes devoirs, mais à les faire quand même. Celui qui ne va à l'école qu'à contrecœur ou très à contrecœur de manière durable a une situation de départ différente, malgré des compétences identiques.
Le foyer familial influence-t-il le plaisir d'aller à l'école ?
L'attitude vis-à-vis de l'école et des enseignants peut être influencée en particulier par les parents. Si j'entends à la maison que l'école est «stupide» et que l'enseignant est «incompétent», je vais à l'école avec une attitude correspondante. Dans ce cas, les enfants n'ont pas la chance de pouvoir faire de bonnes expériences sans préjugés.

Les enfants issus de familles privilégiées sont-ils avantagés ?
Il existe un lien substantiel entre les résultats scolaires et le statut socio-économique. C'est ce que montre notamment l'étude américaine dite «30 Million Word Gap».
Que dit-elle ?
Les chercheurs américains Betty Hart et Todd Risley ont essayé de quantifier concrètement l'avantage linguistique des enfants de la bourgeoisie cultivée . Ils ont observé des familles issues de différents milieux et ont compté pendant des mois le nombre de mots qui se déversaient sur leur progéniture. Ils ont fini par intituler leur étude «The Early Catastrophe», «la catastrophe précoce».
45 millions de mots - c'est le nombre de mots que les enfants riches et bien entourés entendent au cours de leurs quatre premières années. Les enfants moins privilégiés n'entendent en revanche que 10 à 13 millions de mots pendant cette période. Cela s'exprime également dans leur propre vocabulaire. A trois ans, un enfant issu d'une classe sociale supérieure connaît environ 1000 mots, un enfant issu d'une classe sociale inférieure seulement la moitié. Aucune école au monde ne pourra combler un tel fossé plus tard, même si les enseignants se donnent beaucoup de mal.
Je trouve que la tendance à trop planifier la vie des enfants est une erreur.
Les parents peuvent-ils aider ?
Le «30 Million Word Gap» est en effet modulable par le comportement des parents. Plus on parle à l'enfant, plus on lui montre des choses et plus on interagit avec lui, plus il développe de bonnes capacités linguistiques. En d'autres termes, même si j'ai peut-être un niveau scolaire simple, je peux quand même parler le plus possible à mon enfant. Cela a un effet positif sur le développement linguistique.
Pourquoi la langue est-elle si importante ?
Tout notre système scolaire est basé sur le langage. Si je suis bon en calcul, mais que je ne comprends pas les exercices de texte ou que je mets beaucoup de temps à les lire, je risque d'avoir une note moins bonne que quelqu'un qui n'est peut-être pas un génie du calcul, mais qui sait bien lire et comprendre. Cela signifie que si je comprends bien la langue et que je m'exprime bien, c'est une base importante pour que je réussisse à l'école.
Que pensez-vous de l'intervention précoce ?
La frontière entre encourager et surencourager ainsi qu'exiger et surmener est très mince. Je trouve que la tendance à trop planifier la vie des enfants est une erreur. Les enfants veulent et doivent être encouragés et sollicités, mais en même temps, ils ont besoin d'espace et de temps en temps de temps mort. Il est très difficile d'évaluer ce qui est suffisant et ce qui est trop pour son propre enfant.
Combien de hobbies un enfant doit-il avoir ?
Un enfant qui a besoin d'un apport important n'a rien contre le fait d'aller à l'entraînement de football, à l'entraînement de natation et d'apprendre le piano. Un autre enfant peut être dépassé par cela. On ne peut pas non plus se contenter de dire qu'un enfant doit pratiquer un instrument et un sport. Cette formule n'est pas valable pour tous les enfants.
L'ennui aide les enfants à apprendre à s'occuper eux-mêmes, à créer leurs propres idées et à développer leur imagination.
Comment reconnaître ce qui est juste et ce qui l'est trop ?
En étant proche de l'enfant, en reconnaissant ses forces et ses faiblesses et en étant sensible à ce dont il a besoin. Et en l'impliquant dans les décisions et en ayant le courage de dire, au bout de six mois, que c'est trop. Deux choses sont importantes à cet égard : d'une part, que l'enfant ait du plaisir à pratiquer son hobby, mais qu'il fasse aussi preuve de persévérance et n'abandonne pas tout de suite s'il n'en a pas envie. D'autre part, en tant que parents, il faut toujours se demander si un hobby est le souhait de l'enfant ou le sien.
Quelle est l'importance des pairs ?
La possibilité d'interagir avec des enfants du même âge et peut-être de se mesurer à eux est extrêmement importante. Les enfants sont des êtres sociaux ; ils construisent leur pensée en interagissant avec leur environnement. Un enfant doit donc avoir de nombreuses occasions d'explorer le monde et son environnement.

Comment gérer l'ennui ?
L'ennui est important, mais parfois difficile à supporter pour les parents. On a tendance à contrecarrer l'ennui exprimé en proposant sans cesse de nouvelles choses. En revanche, si l'on supporte l'ennui de l'enfant, on lui rend un bon service. On aide ainsi les enfants à apprendre à s'occuper eux-mêmes, à créer leurs propres idées, à développer leur imagination. Dans le cas décrit, l'aide à l'entraide pourrait prendre la forme suivante : «Essaie donc ceci. J'y viendrai plus tard».
Quelle est l'importance de l'expérience de la nature ?
Plus une enfance est riche en expériences, mieux c'est. Un enfant peut très bien se perdre dans un livre ou acquérir des compétences en jouant à un jeu. Mais cela implique aussi d'aller à l'extérieur. Jouer avec la saleté, les arbres et l'eau peut constituer une expérience très riche. Dans l'ensemble, il faut de la diversité, pas des extrêmes.
La plus grande erreur que les parents peuvent faire maintenant est de ne pas reconnaître les capacités de leur enfant.
Quel est votre principal conseil aux parents d'enfants de maternelle ?
Ne pas sous-estimer votre enfant ! Les enfants de cinq à six ans se font beaucoup de soucis, ils ne se contentent plus de suivre les règles du grand monde, mais exigent des justifications plausibles. Les parents doivent se préparer à expliquer davantage de choses à leurs enfants. Ils doivent également se préparer à plus de discussions.
La plus grande erreur que les parents peuvent commettre à l'heure actuelle est de ne pas reconnaître les capacités de leur enfant, de le mettre dans une catégorie et de freiner son développement. Il faut en être conscient : Du point de vue de la psychologie du développement, c'est au cours de ces deux années d'école maternelle que sont posées les bases essentielles de la personnalité future. C'est une période incroyablement passionnante.