Syndrome d'Asperger : une autre façon de voir le monde

Lorsque Lars parle à l'école de son passe-temps favori, les drapeaux, il ne s'arrête plus. Le garçon de douze ans parle alors sans cesse des couleurs, des formes, des motifs et des particularités des drapeaux - même si les autres enfants baillent déjà, lèvent les yeux au ciel ou détournent ostensiblement le regard.

Lars est atteint du syndrome d'Asperger. Environ 0,5 pour cent de tous les Suisses en sont atteints. Il s'agit d'un trouble du développement congénital appartenant à ce que l'on appelle le spectre de l'autisme. Outre le syndrome d'Asperger, celui-ci comprend également l'autisme infantile précoce et l'autisme atypique. Les différentes formes d'autisme se caractérisent toutes par une altération de la perception et du traitement des stimuli extérieurs dans le cerveau, mais à des degrés très divers. Les limites sont floues.

Les enfants atteints du syndrome d'Asperger ont du mal à se mettre à la place des autres et ne perçoivent pas ce qu'ils ressentent à ce moment-là ou ce qu'ils veulent.

Bettina Jenny, psychologue

Particularités lors de jeux avec d'autres enfants

Aujourd'hui encore, on ne sait pas exactement comment le syndrome d'Asperger se manifeste. «La seule chose qui est sûre, c'est que la génétique joue un certain rôle», explique Bettina Jenny, psychologue en chef à la clinique de psychiatrie et psychothérapie pour enfants et adolescents de la clinique psychiatrique universitaire de Zurich. «Les enfants atteints du syndrome d'Asperger disposent d'une intelligence bonne à supérieure à la moyenne, et le développement linguistique se déroule également au début de manière largement discrète».

Les parents et les personnes proches voient certes généralement certaines particularités dès le plus jeune âge, explique la pédopsychiatre Jenny : «Mais la plupart du temps, elles sont acceptées telles quelles et ne sont pas examinées plus avant». Ce n'est qu'à partir de l'âge de trois ans environ que les particularités deviennent plus évidentes, surtout lorsque l'enfant joue avec d'autres enfants.

«Les enfants atteints du syndrome d'Asperger ont du mal à se mettre à la place des autres et ne perçoivent pas ce que l'autre personne ressent à ce moment-là ou ce qu'elle veut», explique Jenny. «Ils ne perçoivent souvent pas les codes non verbaux sous forme de mimiques, de gestes et de postures, ou les interprètent mal». Plus tard, on remarque que même l'ironie, les intentions exprimées entre les lignes ou les expressions imagées sont souvent mal comprises ou prises au pied de la lettre. Il se peut ainsi qu'un enfant Asperger se précipite vers le réfrigérateur lorsqu'on lui demande «d'ajouter son grain de sel».

Des structures fiables sont importantes pour les Asperger

Sans un feedback constant de l'extérieur, le monde est difficilement prévisible et extrêmement incertain pour les personnes Asperger. C'est pourquoi les autistes Asperger aiment les processus et les structures fixes et fiables qui leur sont familiers et qui se répètent constamment. Ils rejettent la nouveauté, les changements, la spontanéité et les surprises, car ils leur font peur.

«Cela s'exprime différemment selon les enfants», explique Jenny, experte Asperger. «Certains veulent toujours faire les mêmes excursions ou passer leurs vacances au même endroit, d'autres mangent tous les jours les mêmes plats ou portent toujours des vêtements similaires».

Une autre caractéristique typique des enfants atteints du syndrome d'Asperger est qu'ils développent souvent des intérêts spéciaux qui ne sont pas typiques de leur âge et qui paraissent donc un peu étranges. Ils prêtent attention à de nombreux détails et retiennent un nombre extraordinaire de faits. Chez les garçons, les préférences vont généralement aux sciences naturelles et à la technique, les thèmes étant par exemple la distance entre les planètes, les points de fusion des métaux, les horaires des trains ou le volcanisme.

Les filles Asperger ont aussi des thèmes plus courants comme les espèces de libellules ou les races de chevaux. En outre, les deux sexes s'intéressent souvent de très près à des jeux informatiques tels que Minecraft, dans lesquels des mondes sont créés.

Quand les sens fonctionnent différemment

Une autre caractéristique de l'altération de la perception dans le syndrome d'Asperger est l'hypersensibilité ou l'hyposensibilité de la sensorialité. Les personnes atteintes d'Asperger ressentent souvent les impressions sensorielles normales de manière nettement plus forte ou au contraire nettement plus faible que les autres personnes.

«Même les contacts délicats dus à un courant d'air sur la peau, mais aussi le fait de se laver les cheveux ou de prendre une douche peuvent leur paraître extrêmement désagréables, voire douloureux», explique Jenny. «Les bruits sont rapidement trop forts pour eux, et les odeurs de déodorants ou d'après-rasage peuvent leur causer des picotements désagréables dans le nez. En revanche, les personnes atteintes d'Asperger perçoivent souvent les irritations dues au froid et les douleurs de manière moins prononcée».

La plupart des enfants Asperger souhaitent se faire des amis. Simplement, ils ne savent souvent pas comment s'y prendre.

Bettina Jenny, psychologue

Inversement, certaines impressions sensorielles, déclenchées par exemple par le fait de passer la main sur des surfaces froides et lisses ou douces et moelleuses, auraient un effet apaisant sur le système nerveux. «Les enfants atteints du syndrome d'Asperger répètent souvent ce genre d'actions à plusieurs reprises afin de se réguler», explique Jenny. Leur contact visuel souvent absent attire également l'attention. «Des études montrent que le contact visuel direct active le centre de la peur dans le cerveau des personnes atteintes d'Asperger», explique Jenny. «Cela explique pourquoi les personnes concernées évitent souvent le contact visuel avec les autres».

«De nombreux comportements que présentent les enfants Asperger sont également logiques par rapport à la manière dont ils perçoivent le monde», explique l'experte Jenny. «Mais pour les autres, leurs actions semblent souvent inappropriées, égocentriques ou tout simplement étranges». Il n'est pas rare que les enfants Asperger se heurtent à cette situation ou soient même victimes d'exclusion ou de harcèlement.

«Mais ce n'est pas une fatalité», souligne Jenny. «Si l'environnement est adéquat, les autistes Asperger peuvent tout à fait avoir des amis et être intégrés dans la communauté de la classe». La plupart des enfants Asperger souhaiteraient avoir des amitiés et des contacts avec les autres. «Ils ne savent tout simplement pas comment s'y prendre ou comment garder le contact qu'ils ont gagné».

Stratégie toxique chez les filles atteintes d'Asperger

Les jeunes filles atteintes d'Asperger, en particulier, développent parfois une stratégie toxique pour rester dans la course avec leurs camarades : Elles observent très précisément leurs mimiques et leurs gestes et les copient ensuite. «Cela fonctionne encore souvent à l'école primaire», dit Jenny, «mais au plus tard au début de la puberté, lorsque les compétences sociales sont nettement plus développées chez les autres, elles ont moins de succès avec cette méthode». Il s'ensuit une immense souffrance chez les filles concernées, car elles ne parviennent pas, malgré leurs plus grands efforts, à masquer leur retard de développement social.

Le trouble borderline est l'un des diagnostics erronés les plus fréquents chez les filles Asperger.

Leah Gerstenkorn, éducatrice spécialisée

«En jouant la comédie et en s'adaptant trop, ils se renient et sentent malgré tout qu'ils ne sont pas à la hauteur», explique Leah Gerstenkorn, elle-même autiste Asperger, éducatrice spécialisée et experte en formation continue sur le thème de l'autisme Asperger. «Cela conduit souvent à une dévalorisation massive de soi avec des maladies consécutives comme la dépression, les troubles anxieux, les compulsions, les troubles alimentaires ainsi que les comportements d'automutilation et les pensées suicidaires. En conséquence, le borderline fait partie des diagnostics erronés les plus fréquemment posés chez les filles Asperger».

Asperger touche plus de filles qu'on ne le pense

Le mimétisme - l'imitation - a également pour effet que le syndrome d'Asperger n'est en majorité pas reconnu chez les filles, ou seulement très tard. Alors que les garçons atteints d'Asperger réagissent souvent de manière agressive lorsqu'ils sont surmenés et qu'ils dérangent en classe ou à la maison, les filles concernées se font globalement moins remarquer.

«De même, les particularités typiques telles que l'absence de contact visuel et le comportement en retrait sont plus facilement acceptées socialement chez les filles et sont tout simplement interprétées comme de la timidité», explique Gerstenkorn. Pour cette raison et parce que les critères de diagnostic s'orientent surtout sur les symptômes masculins, la science a longtemps supposé que le syndrome d'Asperger concernait en premier lieu les garçons.

«Il y a encore une vingtaine d'années, on décrivait un rapport de 6:1, voire de 8:1 entre les garçons et les filles, selon les études», explique Gerstenkorn. Aujourd'hui, on sait que ces chiffres sont dépassés. «Personnellement, je pars d'une répartition réelle de 4:1 ou même 2:1», déclare la pédagogue curative. «C'est également ce que suggèrent les études actuelles», précise la psychologue Jenny.

Autres symptômes chez les filles

«Les signes qui peuvent indiquer le syndrome d'Asperger chez les filles sont - en plus des symptômes déjà mentionnés - des problèmes de sommeil, une surexcitation permanente, des crises de colère à la maison alors que tout fonctionne à l'école, ainsi qu'un retrait émotionnel et des épuisements et effondrements émotionnels», explique Gerstenkorn.

Souvent, les anomalies apparaissent dans le cadre de changements extérieurs tels qu'un déménagement, un changement d'école, un divorce des parents ou la naissance d'un frère ou d'une sœur. «Ainsi, un changement d'école de l'école primaire au lycée peut conduire en quelques semaines à un refus complet de l'école chez une jeune fille auparavant bien intégrée», explique la pédagogue curative. «En effet, un enfant Asperger ne peut souvent plus compenser lui-même la nouvelle situation, y compris l'environnement inconnu et les exigences accrues, ce qui conduit alors à un surmenage total».

Mais si le syndrome d'Asperger n'a pas encore été détecté, les parents, les enseignants et les autres enfants du même âge ne peuvent souvent pas du tout comprendre la réaction violente de l'enfant. «L'apaisement et les bonnes paroles ne mènent alors nulle part», explique Gerstenkorn. «A ce stade, il est judicieux de demander l'aide d'un spécialiste».

Pour que les enfants concernés bénéficient du meilleur soutien possible, mais aussi pour que les parents, les enseignants et les membres de la classe comprennent mieux les comportements de l'enfant, il est important que le syndrome d'Asperger soit diagnostiqué le plus tôt possible. «En Suisse, des centres spécialisés sont disponibles à cet effet dans chaque canton», explique la pédopsychiatre Jenny. «A l'aide d'observations cliniques, d'entretiens détaillés avec les parents et de données fournies par des tiers, par exemple à l'école, ainsi que de tests spéciaux, un diagnostic peut y être établi».

Tous les enfants n'ont pas besoin d'une thérapie

Formellement, Asperger est certes une maladie. «Mais nous entendons surtout par là une autre manière de percevoir le monde, qui n'implique pas seulement des faiblesses, mais aussi des forces», souligne Jenny. «Asperger n'est pas guérissable et ne doit pas non plus être guéri». Mais il existe des possibilités de soutenir positivement les enfants Asperger dans leur développement et de les aider à mieux s'intégrer dans la communauté.

«Dans ce cas, des thérapies individuelles pour la régulation de la tension, des groupes pour l'entraînement des compétences sociales ainsi que la pédagogie curative et l'ergothérapie peuvent par exemple aider», explique Jenny. «Il est également important de donner des conseils détaillés aux parents et aux familles».

Comme l'expression du syndrome d'Asperger est très variable, un traitement n'est effectivement pas nécessaire dans tous les cas. «Il y a des enfants qui s'en sortent bien dans l'ensemble parce qu'ils n'ont que de légers déficits et beaucoup de ressources ou - parfois même au-delà - parce qu'ils grandissent dans des conditions particulièrement favorables», souligne Jenny.

«Cela implique par exemple un environnement peu irritant, suffisamment de pauses et de possibilités de se retirer, des classes plus petites, éventuellement un accompagnement scolaire, ainsi que du respect, de la patience et des égards pour les enfants concernés».

Ateliers gratuits pour les classes

Pour que les enfants Asperger puissent bénéficier d'un bon environnement, l'école, les enseignants ainsi que la classe doivent également être informés sur le sujet. «Pour cela, il existe des ateliers de sensibilisation gratuits spécialement conçus pour les écoles, en collaboration avec l'organisation d'entraide Procap, au cours desquels des personnes concernées comme moi se rendent dans les classes pour parler de leur handicap», explique Gerstenkorn.

«Sur demande, les services spécialisés organisent également des formations continues pour les enseignants». De telles mesures profitent aux deux parties, car les autistes Asperger n'ont pas que des faiblesses à offrir, mais aussi de nombreux points forts : Ils sont moins enclins aux préjugés et sont considérés comme honnêtes, serviables, loyaux et fiables. De plus, ils agissent généralement sans arrière-pensée et proposent souvent des solutions inhabituelles à différents problèmes.