Sois reconnaissant !

On a décoré le gâteau avec des dinosaures verts en pâte d'amande jusque tard dans la soirée. On a joliment emballé les cadeaux et dressé la table. Et puis, au petit matin, l'enfant dont c'est l'anniversaire déchire le papier en morceaux à la vitesse de l'éclair. Il a l'air déçu, car il pensait qu'un autre cadeau se trouvait dans le papier. Et le gâteau ? Beurk, de la pâte d'amande !

Dans une telle situation, les parents se disent parfois : «Quelle bande d'ingrats ! Du matin au soir, on travaille dur pour les enfants, et ils ne semblent jamais satisfaits. "Pourquoi dois-je aller à l'école ?» «Pourquoi aller à l'entraînement de foot ?» «Pourquoi ai-je besoin d'une casquette ?» Il y a toujours quelque chose qui ne convient pas. Et la mesure est rarement pleine.

Être reconnaissant signifie que la personne comprend la valeur de quelque chose et saisit qui ou quoi a contribué à cette valeur.

Mirja Kekeritz, chercheuse en sciences de l'éducation

«Pourquoi n'y a-t-il qu'une seule glace ?» «Pourquoi Sophie ne peut-elle pas revenir dormir chez nous demain ?» Une réponse typique des parents : «Nous vous permettons tellement de choses. Soyez donc un peu reconnaissants de pouvoir aller à l'école. Ou qu'on vous offre une glace !» Mais les enfants peuvent-ils vraiment faire cela, être reconnaissants ?

La gratitude est une construction hautement abstraite

«Jusqu'à l'adolescence, plutôt pas», dit Karin Fasseing Heim, directrice de la filière «Kindergarten-Unterstufe» et chargée de cours en pédagogie, psychologie et philosophie à la Haute école pédagogique de Thurgovie à Kreuzlingen. La raison en est que la gratitude est une construction hautement abstraite avec une forte composante cognitive.

«Être reconnaissant signifie que la personne comprend la valeur de quelque chose et saisit qui ou quoi a contribué à cette valeur», explique Mirja Kekeritz de l'Institut des sciences de l'éducation de l'université d'Osnabrück, qui mène des recherches sur la formation des valeurs à l'école primaire.

La gratitude permet aux personnes d'entrer dans un lien social de reconnaissance, c'est pourquoi elle est également considérée comme un moyen de lien social. «En étant reconnaissant, l'être humain reconnaît qu'il dépend d'autrui et des autres. C'est pourquoi la gratitude favorise également le bien-être», explique Mirja Kekeritz. Il n'est donc pas étonnant que les parents aspirent à la gratitude enfantine.

La gratitude n'est pas seulement une valeur mentale. Elle peut aussi être perçue comme un sentiment. Et même les plus jeunes enfants en sont capables. «La perception et la régulation des émotions commencent à la naissance et se développent dans de multiples situations sociales. Les enfants apprennent ainsi à mettre des mots sur ce qu'ils ressentent et à y réfléchir», explique Fasseing Heim.

La gratitude est une attente des parents qui, du point de vue de la psychologie du développement, représente une surcharge pour les enfants.

Karin Fasseing Heim, professeur de pédagogie, de psychologie et de philosophie

Ainsi, à l'âge de l'école primaire, il leur est plus facile de contrôler leurs propres sentiments, de se mettre à la place des autres, de faire preuve d'égards ou d'assumer des responsabilités. Toutes choses qui, selon Fasseing Heim, sont plus centrales et plus tangibles que la gratitude dans le développement social à cet âge.

«En tant que parents, on peut tout à fait se demander de manière critique à quel moment de sa vie on a déjà ressenti une véritable gratitude. Je pense surtout à des situations existentielles comme la naissance d'un enfant en bonne santé ou le fait d'avoir survécu à une maladie grave», explique Fasseing Heim.

Des situations dans lesquelles les enfants ne se retrouvent pas forcément. Leur conclusion : «La gratitude est une attente des parents qui, du point de vue de la psychologie du développement, représente une exigence excessive pour les enfants, et ce pour plusieurs raisons».

Les enfants devraient apprendre très tôt à dire merci

Les parents doivent-ils donc se résigner à élever des petits égoïstes qui ne font qu'exiger au lieu de donner, ne serait-ce qu'un «merci» ? «Non, les enfants peuvent apprendre ce petit mot très tôt, car il est lié à une situation claire : Je reçois quelque chose et je dis merci en retour», explique Karin Fasseing Heim.

Certes, ce n'est peut-être pas plus qu'un geste au début , car il n'y a pas forcément de sentiment de gratitude derrière. «Mais dire «merci» est tellement important dans notre société pour être perçu positivement que cela vaut la peine de l'enseigner aux enfants dès leur plus jeune âge. La gratitude viendra peut-être avec les années», dit Fasseing Heim.

Il suffit donc d'un petit «merci» pour pouvoir se précipiter sur les cadeaux ou dédaigner le gâteau d'anniversaire ? «Non, mais ce que les parents aimeraient voir de la part de leurs enfants dans ces moments-là, ce n'est peut-être pas tant de la gratitude. Je parlerais plutôt de reconnaissance et d'estime, de respect ou d'attention», explique Fasseing Heim.

Le comportement d'estime est beaucoup plus concret pour les enfants et n'est pas aussi complexe que la gratitude, il est donc plus facile pour eux de le manifester. A condition que les enfants fassent l'expérience de l'estime au quotidien.

Les parents sont des modèles

«Comme presque tout, les enfants apprennent les émotions et les comportements sociaux surtout en observant les autres enfants et les adultes», explique Fasseing Heim. Ceux-ci prennent-ils le temps d'ouvrir les cadeaux ?

Dites-vous à votre partenaire que le repas d'aujourd'hui est délicieux ? Qu'ils sont heureux de voir la salle de bain nettoyée ? Ou est-ce qu'en tant que père ou mère, on essaie même de se valoriser ? «Qu'est-ce qui s'oppose à ce que l'on se réjouisse à haute voix du fait que les omelettes sont bien réussies aujourd'hui ?», demande Fasseing Heim.

Tout cela vaut mieux que d'attendre que les enfants viennent d'eux-mêmes avec des mots d'encouragement. Dans le meilleur des cas, ils s'inspirent du comportement souhaité. Mais les parents ne peuvent pas s'y attendre. «Je considérerais la reconnaissance et l'estime plutôt comme un bonus que l'on reçoit en plus certains jours», dit Fasseing Heim. Et parfois, les enfants ne le montrent qu'avec un certain retard.

Par exemple lors d'une excursion en famille ou en vacances. On se plaint parfois (long trajet, trop chaud, trop ennuyeux !) et on râle (si loin à pied, quand allons-nous rentrer ?). Et puis, un jour, on regarde ensemble les photos et on s'étonne des souvenirs positifs qui sont évoqués.

Et si ce n'est pas le cas ? «En tant que parents, il faut alors se demander honnêtement qui voulait vraiment faire l'excursion. Et se contenter de dire que l'on a au moins passé une bonne journée ou de bonnes vacances», explique Fasseing Heim.

Le gâteau aux dinosaures était lui aussi, à vrai dire, plutôt un projet d'auto-réalisation. Il était vraiment sensationnel et beau. Mais au niveau du goût, tout ce massepain vert artificiel ? Beurk !