Remo Largo - penser à partir de l'enfant

Le décès de Remo Largo nous a tous surpris, bouleversés et rendus très tristes. L'écho médiatique est énorme et montre de manière impressionnante l'importance de son œuvre. Sa mort est pour nous une césure qui nous fait réfléchir à son œuvre et à son héritage : Sa voix pour les enfants va-t-elle se taire ?

Non, elle ne le fera pas, car ses livres continueront à porter ses paroles. Nous, pédiatres, avons assimilé sa position, la mettons en pratique dans notre quotidien avec les enfants et leurs familles et continuerons à développer ses idées.

En tant que professeur, mentor et ami, Remo Largo nous a enseigné chaque jour la diversité de la condition humaine et ce que nous pouvons faire pour que chacune et chacun d'entre nous puisse vivre sa propre individualité. Qu'est-ce qui caractérisait l'homme Remo Largo ?

Il était curieux et assoiffé de connaissances.

Entre 1976 et 1978, il a travaillé à la Child Development Unit de l'Université de Californie à Los Angeles (UCLA) auprès d'Arthur Parmelee. Ce célèbre pédiatre du développement était un pionnier de la recherche sur le cerveau des enfants. Remo Largo était fasciné par les nouvelles possibilités techniques de l'époque pour visualiser le cerveau des enfants. Certes, il avait déjà acquis auparavant à Zurich de nombreuses connaissances sur le développement de l'enfant, mais les mesures de l'activité cérébrale allaient lui ouvrir une toute nouvelle fenêtre sur l'enfant.

Un enfant n'a pas besoin de reconnaissance pour ce qu'il a accompli, mais pour le fait qu'il a fait des efforts.

Extrait de "Les années d'enfance

Mais les choses se sont passées tout autrement : des problèmes méthodologiques et financiers ont conduit à l'abandon du projet au bout de quelques mois. Déçu, Remo Largo se détourna dès lors et toute sa vie de la recherche sur le cerveau et des méthodes expérimentales des sciences du développement. Au lieu de cela, il s'est consacré à la branche de recherche qu'il poursuivra plus tard à Zurich et qui deviendra la base de son œuvre considérable : l'observation du développement de l'enfant.

Il était ouvert et intéressé.

C'était une personne qui savait écouter, capter les idées et les pensées, les traiter et les développer. Après l'échec de la recherche sous Parmelee, il a visité les grands centres de développement américains et s'est penché de manière approfondie sur les thèmes de la psychologie du développement. A l'UCLA, il se consacra dès lors à un projet sur le développement du jeu et du langage. Il a ainsi étudié de nombreux enfants et a minutieusement retracé leur comportement de jeu au cours de leurs premières années de vie. Il s'est rendu compte que les enfants sont curieux par nature et qu'ils se développent en jouant.

Vivre de manière autodéterminée est un bien précieux que nous ne devons pas seulement revendiquer pour nous-mêmes, mais que nous devons aussi accorder à tous les êtres humains en respectant leur volonté.

Extrait de "La vie qui convient"

C'est à cette époque qu'il a lu intensivement les écrits du célèbre chercheur suisse en développement et biologiste Jean Piaget, qui allaient par la suite le marquer profondément. Remo était fasciné par l'idée que l'enfant dirige lui-même son développement par ses propres actions. Il était de plus en plus convaincu que nous, les adultes, ne pouvions pas accélérer le développement de l'enfant, mais que nous devions uniquement veiller à ce que l'enfant se sente bien et accepté par son environnement avec toutes ses caractéristiques et particularités.

Il était affectueux et chaleureux.

Il considérait ces qualités comme essentielles pour les personnes de référence dans leurs relations avec l'enfant. Il utilisait souvent le mot «sécurité». Il était convaincu qu'un enfant ne se sentait en sécurité que si ses personnes de référence étaient disponibles, fiables, familières et aimantes. Mais il donnait également un sentiment de sécurité à ses amis, aux collaborateurs et aux parents de ses patients.

De quels facteurs dépend le bien-être psychique d'un enfant ? L'élément le plus important est le sentiment de sécurité.

De "Les années bébé"

Chaque fois que vous rencontriez Remo Largo, il vous demandait comment vous, vos enfants ou d'autres membres de votre famille alliez. La question n'était jamais une formule toute faite, mais le bien-être de son interlocuteur lui tenait vraiment à cœur. Il était toujours à l'écoute des soucis et des besoins des autres et écoutait attentivement.

Il était prudent et visionnaire.

Fort des nouvelles connaissances acquises aux États-Unis, il a repris en 1978 la responsabilité des études longitudinales zurichoises initiées en 1954 par son mentor Andrea Prader. Il a lancé une deuxième et même une troisième étude, les a développées et y a intégré les vastes connaissances qu'il avait acquises en Amérique.

Si les jeunes doivent devenir des adultes autonomes et responsables, ils doivent aussi avoir le droit de faire des erreurs.

De "Les années de jeunesse

Il a par exemple étudié le développement du jeu des enfants, leur pensée et leur langage, leur sommeil, le développement de la propreté et de nombreux aspects du comportement social. Ce vaste ensemble de connaissances a servi de base à ses livres et au «concept Fit». Pour ce faire, il observait les enfants, les filmait et les photographiait. Il avait l'œil pour les situations et les moments particuliers. C'était formidable d'analyser avec lui les comportements des enfants dans la vidéo et de les comprendre de cette manière. La vidéo était le stéthoscope de Remo Largo.

Il avait de l'humour et était patient.

En l'espace de quelques minutes, il était impliqué dans un jeu avec les enfants, il riait et les captivait. Les étudiants et les assistants étaient également fascinés par sa manière d'aborder les enfants. Il se distinguait parmi les enseignants parce qu'il parvenait intuitivement à aborder l'enfant d'égal à égal et à s'adapter à son niveau de développement individuel.

Les enfants n'aiment pas leurs parents parce qu'ils sont leurs géniteurs, mais parce qu'ils ont avec eux une relation qui ne peut naître que d'expériences communes.

Extrait de "Les années d'école"

Il écoutait aussi patiemment les histoires des familles et essayait de comprendre l'environnement de l'enfant. Ce faisant, il considérait toujours le monde du point de vue de l'enfant, essayait de se mettre à sa place et de «penser à partir de l'enfant», comme il le disait souvent. Il se concentrait sur les points forts d'un enfant, acceptait les faiblesses ou les ignorait généreusement - non seulement chez les enfants, mais aussi chez ses collaborateurs et amis. Il parvenait à donner à chacun sa place et à former une équipe réunissant des personnes différentes.

Il était persévérant et provocateur.

Pour beaucoup, sa conviction profonde que les exigences de la société doivent être adaptées aux caractéristiques de l'enfant était de la pure provocation. Avec cette revendication, il a particulièrement choqué le milieu de l'éducation, car l'école est marquée dans une certaine mesure par l'égalitarisme. Celle-ci était une horreur pour Remo Largo, le gardien convaincu de la diversité des enfants. Ce faisant, il a dû supporter beaucoup de rejet, surtout de la part du monde de la pédagogie. «A chacun son métier» ou «En tant que pédiatre, Largo n'a aucune idée de ce qui se passe dans les salles de classe» étaient des critiques fréquentes lorsqu'il lançait à plusieurs reprises des thèses provocantes.

Ce n'est que lorsque les parents font confiance à l'école et à l'enseignant et s'identifient à eux que l'enfant peut se sentir soutenu et accepté à l'école. L'école devient alors son école.

Extrait de "Les années d'école"

Il a éprouvé une grande satisfaction en 2006 lorsqu'il a reçu le prix de la formation de la Haute école pédagogique de Zurich et qu'il a pu entendre dans la laudatio qu'en tant que «pédiatre, il est en fait un pédagogue né».

Il était communicatif et capable de susciter l'enthousiasme.

Il a su, comme personne d'autre, transmettre les connaissances complexes sur le développement de la naissance à l'âge adulte dans un langage clair et accessible ; ses livres en sont sans aucun doute la preuve.

Nous avons également ressenti ce talent dans notre vie quotidienne commune. Par exemple, lorsqu'on lui présentait des données scientifiques, il demandait toujours à la fin : «Et quel est ton message ?» Il ne faisait pas de recherche dans une tour d'ivoire, mais pensait toujours à la signification que les résultats scientifiques pouvaient avoir pour l'approche des enfants et des familles. Avec ce transfert des connaissances de la recherche vers la société, il était très en avance sur son temps, car ce n'est que ces dernières années qu'un dialogue public sur la science est de plus en plus exigé et entretenu.

Une éducation dans laquelle les parents et les personnes de référence déterminent ce que l'enfant doit penser et faire produira un adulte qui sera déterminé par d'autres.

Extrait de "Les années d'enfance

Au cours des 30 dernières années, personne n'a été plus à même que Remo Largo, dans les pays germanophones, d'ancrer aussi profondément dans notre société le vaste corpus de connaissances sur le développement de l'enfant. Ce faisant, il a élargi durablement la compréhension du développement de l'enfant et de sa diversité et nous a tous fait comprendre que c'est nous qui devons nous adapter à l'enfant et non l'enfant qui doit s'adapter à nous. Cette attitude axée sur l'enfant est le grand héritage que Remo Largo nous a laissé à tous. Sa voix s'est éteinte le 11 novembre 2020, mais sa vision de l'être humain continuera à vivre en nous.