«Lose yourself» ou au revoir avec Eminem
Lâcher prise n'est pas un grand mot. Pas autant que l'amour. Ou la patrie. Ou l'adieu. Dans ces mots, les significations et les contextes tonnent les uns contre les autres comme les décharges d'une cellule orageuse.
Lâcher prise, en revanche, sonne léger, perméable, comme du sable qui s'écoule par une ouverture. Et lâcher prise, je dois le faire maintenant. Car c'est ma dernière chronique pour ce magazine. Et la dernière en tant que «mamablogueuse», comme j'ai commencé ma carrière. Cette carrière est maintenant à la fin de l'automne, m'a récemment dit un collègue, et mes enfants sont aussi presque adultes. Il est donc temps de lâcher prise. En insistant sur «lentement», car c'est un processus. La plupart du temps, en tout cas.
Ce dernier texte est d'autant plus important pour moi, pour lequel j'ai même choisi une bande-son : «Lose yourself» d'Eminem. Vous vous souvenez de la fameuse intro :
Si tu n'avais qu'un seul coup ou une seule occasion
Pour tout saisir, vous auriez voulu en un instant
Est-ce que tu le saisirais ?
Ou simplement le laisser s'échapper ?
Saisir la chance de sa vie, peut-être la seule - c'est ainsi que je me suis lancée à l'époque dans mon nouveau rôle de maman blogueuse. Pouvoir enfin montrer ce que l'on sait faire, même si l'on n'est pas sûre de pouvoir le faire, mais tout tenter pour que cela réussisse. Et oui, à ce moment-là, le monde devient un et on s'y perd. Ce sont ces moments que je souhaite aussi à mes enfants, maintenant qu'ils sont adultes. Trouver leurs moments, les saisir, s'y perdre.
Lâcher prise difficile
Le succès est un concept incertain, m'a expliqué mon fils. L'échec, en revanche, est une chance d'apprendre quelque chose. Il a dû écrire une rédaction sur ce thème, mais il a trouvé le sujet difficile. Et il a raison, les succès sont éphémères. Pourtant, on ne peut échouer que si l'on aspire à quelque chose. Parfois, il est facile de lâcher prise, c'est même un soulagement. Par exemple quand on se débarrasse de choses. On a toujours pensé qu'on en avait encore besoin, mais il ne manque rien une fois qu'elles ont disparu. Mais ce n'est pas toujours le cas. Parfois, il est aussi effrayant et difficile de lâcher prise. Quand on s'y accroche comme si on était suspendu au-dessus d'un gouffre.
Tu ferais mieux de te perdre dans la musique
Le moment, tu le possèdes, tu ferais mieux de ne jamais le laisser partir
Lâcher prise est un exercice que l'on apprend inévitablement en tant que mère. Qui ne se souvient pas de cette première nuit avec le nouveau-né, ce moment où le petit être fait des demandes bruyantes. Et alors que tu essayes encore de t'orienter dans la conscience éveillée qui se compose comme Tetris, indignée par ces cris scandaleux au milieu de la nuit, tu réalises soudain : c'est mon enfant, ma responsabilité, ma nouvelle vie. L'ancienne est terminée.
Retourne à la réalité, oh là là là gravité
Oh, il y a Rabbit, il a choqué
Il est si fou, mais il ne se rendra pas si facilement ? No
Une fois que l'on a assumé la responsabilité d'enfants, d'une famille, la recherche de la grande chance qui bouleverse la vie ne joue généralement plus un grand rôle. On n'a tout simplement plus le temps ni l'énergie pour cela et on ne se souvient d'ailleurs plus guère de ce que l'on voulait avec une telle chance. Back to Reality, il n'y a pas de place pour les rêves. Il vaut mieux les laisser partir.
Celui qui ne lâche pas prise ne saura jamais s'il peut voler. Car c'est de cela qu'il est question maintenant, lorsque les enfants partent à la découverte du monde.
Ce sont les petites choses qui comptent
Mais on peut aussi voir les choses autrement. Avec un enfant, ce n'est plus la chance unique qui change tout qui compte. Ce sont plutôt les nombreuses petites choses que l'on fait chaque jour, les regards et les caresses, les rires, les chants, les consolations, les explications. L'amour avec lequel on fertilise les enfants pour les rendre grands et forts. Et je crois que tout le monde fait de son mieux. Même si, au final, on ne saisit jamais toutes les chances. Et on fait beaucoup d'erreurs, on échoue toujours. Dans les moments d'angoisse de la parentalité, lorsque l'on doute de sa capacité et de son aptitude à faire ce travail, cette question en taraude plus d'un : le rapport entre réussite et échec est-il acceptable ? Si le bilan est positif.
Les parents apprennent inévitablement à lâcher prise. Les enfants grandissent constamment, et dès que l'on s'habitue à quelque chose, tout est à nouveau différent. Il y a par exemple l'affaire de la petite main chaude, douce, parfois humide, qui, pendant un certain temps, cherchait toujours la grande main, comme guidée par un aimant invisible. Et un jour, généralement autour de la date d'entrée à l'école, cette petite main se dérobe soudain à la grande main, souvent avec un regard honteux de l'autre côté de la rue, parce qu'il y a là des amis qui ne doivent pas voir qu'il y a encore une maman accrochée. Là aussi, il faut lâcher la main, mais aussi le temps où l'on était encore la seule grandeur pertinente pour l'enfant.
C'est un bon principe de vie que de ne pas prendre de décisions par peur.
Et cela continue ainsi. D'abord, la petite main est retirée, puis l'enfant entier, ou plutôt l'enfant en bas âge. Ce dernier trouve tout embarrassant et surtout sa mère, il n'aime plus répondre aux questions, mais lève les yeux au ciel avec un ennui feint. A cette époque, il serait parfois plus facile de lâcher prise. Même de soi-même, ou de la mère que l'on est devenue, après que l'ancien soi a disparu dans le brouillard du temps. Mais c'est précisément à ce moment-là que cela devient encore plus difficile. On s'imagine un gouffre et on s'accroche.
C'est un bon principe de vie que de ne pas prendre de décisions par peur. Et si l'on ne lâche pas prise, on ne saura jamais si l'on peut voler. Car c'est de cela qu'il s'agit maintenant, lorsque les enfants partent dans le monde pour découvrir leurs propres chances. Et vous laissent seuls avec la question : Et qui suis-je maintenant ? Qu'est-ce qui vient ensuite ? Mais tous ces efforts n'étaient-ils pas précisément destinés à cela ? Que les petits n'aient plus besoin de toi, qu'ils puissent voler de leurs propres ailes ?
Tu ferais mieux de te perdre dans la musique
Le moment, tu le possèdes, tu ferais mieux de ne jamais le laisser partir
Mes enfants sont grands maintenant, c'est ma dernière chronique à cette place et je mentirais si je disais qu'il m'est facile de les laisser partir. Mais je sais que je peux voler. Et je m'envolerai volontiers à nouveau, dans quelques années, lorsque cette place aura peut-être besoin d'une chronique de grand-mère. Et je saisirai l'occasion.