Monsieur Rudin, vous dites que le TDAH n'est pas une maladie, mais une construction sociale. Vous devez nous expliquer cela.
D'un point de vue médical, le terme « maladie » désigne un trouble ou une altération des fonctions physiologiques qui peut être objectivement démontré. On voit clairement si un bras est cassé ou s'il y a une infection. Le TDAH, en revanche, décrit un écart par rapport à une norme qui est elle-même influencée par les attentes de la société.
Notre vision de l'enfant est axée sur ses lacunes. On se concentre trop sur ce qu'il faut optimiser.
Il s'agit d'enfants qui sont agités, inattentifs et impulsifs.
Exactement, ou plutôt des comportements considérés comme inappropriés ou inhabituels dans certains contextes sociaux. La manière dont nous classons les comportements infantiles dépend fortement de facteurs culturels, institutionnels et sociaux. Le TDAH est donc un phénomène socialement construit, et non une maladie au sens classique du terme. Il n'existe ni test sanguin ni technique d'imagerie permettant de détecter clairement le TDAH.

C'est le cas pour la plupart des diagnostics psychiatriques. Remettez-vous donc également en question l'existence des troubles de la personnalité ou de la schizophrénie ?
La psyché est tellement complexe que nous ne pourrons probablement jamais la réduire à des valeurs mesurables objectivement. Je ne critique pas les diagnostics psychiatriques en soi, mais le discours social à leur sujet me donne à réfléchir. En particulier en ce qui concerne le TDAH : des situations très complexes sont souvent interprétées, raccourcies et simplifiées de manière arbitraire. Les résultats scientifiques ne plaident pas en faveur d'un traitement du TDAH « comme une fracture », comme le réclament certaines voix. Il existe également quelques aspects importants qui montrent que le débat sur le TDAH diffère de l'approche sociale d'autres diagnostics psychiatriques.
À savoir ?
Premièrement, la majorité des diagnostics de TDAH concernent des enfants qui se trouvent dans une phase sensible de leur développement. Deuxièmement, les critères de diagnostic accordent une place prépondérante aux attentes en matière de résultats scolaires et aux comportements considérés comme souhaitables dans le contexte scolaire. Troisièmement, le TDAH est traité relativement rapidement par des médicaments plutôt que par une psychothérapie. Dans certains cantons, près de 20 % des garçons âgés de 11 à 15 ans reçoivent des psychostimulants. Je pense qu'il serait temps de s'interroger sur les normes qui servent de référence dans ce domaine.
À votre avis, où le bât blesse-t-il ?
De mon point de vue de sociologue, le phénomène du TDAH dépasse le cadre d'un trouble individuel. Il reflète la manière dont nous, en tant que société, abordons la diversité et définissons la normalité, à partir des attentes que nous avons envers les enfants. La tolérance envers les différences diminue, la pression pour s'adapter augmente. Tout cela conduit à une vision de l'enfant axée sur ses déficits. On se concentre trop sur ce qu'il faut optimiser. Cela concerne également notre système scolaire. Il joue un rôle central dans l'émergence et la reproduction du discours sur le TDAH.
Dans quelle mesure ?
Nos écoles sont axées sur la standardisation et la performance. Les enfants, qui sont tous différents, doivent tous obtenir les mêmes résultats. La célèbre métaphore animale illustre bien le problème : si le canard doit s'entraîner sans cesse à grimper parce qu'il est moins doué que le singe pour escalader les arbres, il finira par nager moyennement bien, mais restera mauvais en escalade.
Au lieu de comprendre l'enfant dans son contexte social, on cherche la cause dans les structures neuronales ou les prédispositions génétiques. À mon avis, c'est une simplification problématique.
Si seules certaines compétences sont considérées comme précieuses, les enfants qui ont d'autres atouts deviennent des perdants. Une école axée sur les ressources devrait reconnaître et encourager la diversité, répondre de manière adéquate aux besoins fondamentaux des enfants en matière de sens, de participation, etc.
Au lieu de cela, les enfants doivent rester assis tranquillement et fonctionner. Ceux qui n'y parviennent pas sont considérés comme perturbateurs. À cela s'ajoute la pression économique : les structures d'accueil doivent fonctionner efficacement, les enseignants doivent enseigner à des classes nombreuses.
Eh bien, à l'époque où le TDAH n'était pas encore un sujet d'actualité, l'école avait probablement des attentes plus élevées envers les enfants : la discipline et l'ordre régnaient, l'enseignement frontal était la norme, tout comme les classes de plus de 30 élèves.
Et les enfants bruyants ou turbulents étaient punis. Je ne prétends pas que l'école était meilleure autrefois, et je ne nie pas non plus qu'un changement ait eu lieu. Il serait d'ailleurs réducteur de limiter le débat sur le TDAH à l'école, mais celle-ci joue un rôle important. L'école est le reflet d'un système de valeurs sociales en constante évolution. Aujourd'hui, on s'accorde largement à dire que les châtiments corporels sont inacceptables comme moyen d'éducation, mais on peut néanmoins se demander dans quelle mesure la situation des enfants s'est améliorée. Pour répondre à cette question, je dois remonter un peu dans le temps.
Je t'en prie.
Notre vision de l'enfant, la manière dont nous interprétons son comportement et y réagissons, a évolué au fil de l'histoire. Au siècle dernier, les enfants qui dérapaient étaient considérés comme moralement égarés. On partait du principe qu'il fallait les remettre dans le droit chemin par le châtiment.
Avec l'avènement de la psychanalyse, cette façon de penser a changé : désormais, c'était la mère qui était responsable du mauvais comportement de l'enfant. Plus tard, cette vision s'est quelque peu élargie, les causes étant davantage recherchées dans les dynamiques familiales. Nous sommes passés d'une vision du monde empreinte de moralité, qui attribuait la faute à l'enfant, à une approche psychosociale qui met l'accent sur les facteurs environnementaux. Celle-ci est aujourd'hui de plus en plus remplacée par une vision du monde axée sur la médecine et la biologie.
Qu'est-ce que cela signifie ?
Nous sommes confrontés à une médicalisation croissante, à une tendance à interpréter médicalement et à classer comme nécessitant un traitement des comportements difficiles, des états émotionnels pénibles ou des problèmes qui font tout simplement partie de la réalité et de l'expérience humaines.
Le seuil pour diagnostiquer un TDAH est aujourd'hui si bas qu'il ne permet pratiquement plus de faire la distinction entre une variation du développement et un trouble nécessitant un traitement.
Lorsque le comportement d'un enfant soulève des questions, on cherche de plus en plus souvent la réponse dans les neurosciences. Les anomalies sont localisées dans le cerveau, les situations complexes sont traduites en maladies. Au lieu de comprendre l'enfant dans son contexte social, on cherche la cause dans les structures neuronales ou les dispositions génétiques. À mon avis, il s'agit là d'une simplification problématique qui occulte la responsabilité sociale.
Vous considérez donc le TDAH comme un phénomène lié à l'air du temps, alors que les résultats de la recherche suggèrent qu'il s'agit d'un trouble neurobiologique ?
Je ne conteste pas l'existence de ce trouble. Mais je le répète : il n'existe aucune procédure médicale permettant de l'identifier clairement, ce qui, à mon avis, devrait inciter à faire preuve d'une plus grande prudence à son égard. Les chercheurs sont toujours prudents dans leurs déclarations et jamais aussi catégoriques que les médias dans leur traitement du sujet. Des indices vaguement suggérés sont rapidement transformés en relations causales, même les différences minimes dans les techniques d'imagerie sont présentées comme des faits neurobiologiques, même si elles n'ont pas de valeur statistique. Il est compréhensible que les gens y soient sensibles.

Que voulez-vous dire ?
Nous vivons dans un monde qui encourage l'efficacité, l'auto-optimisation et la concurrence, et qui rejette la responsabilité de l'échec sur l'individu. À la pression de la performance, à laquelle les parents sont d'autant plus soumis qu'ils doivent préparer leur enfant à une société axée sur la performance, s'ajoutent l'économisation du système de santé, l'influence des médias numériques, le rythme soutenu des exigences scolaires, la surcharge de travail des enseignants et un système scolaire qui lie l'aide à des diagnostics. Cette évolution fait peser de plus en plus les problèmes structurels sur l'individu – l'enfant est le problème – et occulte les dysfonctionnements sous-jacents. En conséquence, nous sommes confrontés à une inflation diagnostique.
Les médecins contestent cette affirmation : ils continuent de tabler sur un taux de prévalence mondial de 5 % et expliquent l'augmentation des diagnostics de TDAH par une meilleure information, une sensibilisation accrue et des méthodes de diagnostic améliorées.
Je connais bien cet argument. Bien sûr, une sensibilisation accrue peut conduire à davantage de diagnostics, mais cela ne suffit pas à expliquer les différences régionales considérables. Si les taux de diagnostic varient fortement d'un pays à l'autre, voire au sein même de la Suisse, cela montre bien qu'il ne s'agit pas ici d'une donnée biologique, mais d'un modèle d'évaluation construit par la société, qui détermine si un enfant est considéré comme atteint de TDAH ou non. Techniquement, le taux de prévalence souvent cité de 5 %, c'est-à-dire la proportion de personnes touchées, est basé sur des méthodes statistiques dans lesquelles les valeurs de prévalence internationales – qui varient entre 1 et près de 18 % – ont été modélisées pour obtenir une valeur moyenne. Il existe toutefois de bonnes raisons de remettre en question cette valeur.
Je ne nie pas la souffrance des enfants. Je veux simplement que l'on pose les bonnes questions.
Pourquoi ?
Un taux de prévalence de 5 % est une sous-estimation grotesque compte tenu du fait qu'en Suisse, plus d'un garçon sur dix âgé de 11 à 15 ans prend déjà des médicaments contre le TDAH. Dans le canton de Neuchâtel, comme je l'ai déjà dit, ce chiffre atteint près de 20 % dans cette tranche d'âge. À mon avis, cela sape l'idée de normalité dans le développement de l'enfant. La quantité de médicaments prescrits pour traiter le TDAH en Suisse ne cesse d'augmenter, avec une hausse de 10 % par an depuis 2021. Certes, on ne sait pas si ces médicaments sont effectivement pris. Mais même en tenant compte de cette incertitude, ces chiffres sont nettement supérieurs à ce que les médecins considéraient comme raisonnable depuis des décennies.
À savoir ?
On a toujours supposé qu'environ la moitié des 5 % d'enfants atteints de TDAH avaient besoin d'un traitement médicamenteux. Nous avons depuis longtemps dépassé ce seuil : environ 4 % de tous les écoliers suisses – 5,5 % chez les garçons – reçoivent des médicaments contre le TDAH via l'assurance de base, auxquels s'ajoutent les cas pris en charge par l'assurance invalidité. Cette augmentation s'explique désormais par le fait que la couverture complète n'est pas encore atteinte et qu'il existe un retard à rattraper en raison d'un sous-diagnostic. Dans le même temps, on invoque sans cesse le taux de prévalence de 5 % comme preuve apparente que tout se passe comme prévu. Il y a dix ans déjà, le Comité des droits de l'enfant des Nations unies reprochait à la Suisse de diagnostiquer trop fréquemment et trop superficiellement le TDAH chez les enfants.
« Trop superficiel » : qu'est-ce que cela signifie ?
Entre-temps, de plus en plus de médecins avec lesquels je suis en contact dans le cadre de mon travail au sein du groupe d'experts TDAH de l'Office fédéral de la santé publique dénoncent une dérive. J'entends parler de cas où les examens ont été effectués lors d'une seule consultation et où les diagnostics ont été posés sur la base d'un bref entretien et de questionnaires standardisés. Je déplore qu'aucune expertise psychiatrique ne soit nécessaire pour cela : même les pédiatres et les médecins généralistes sans spécialisation particulière peuvent poser un diagnostic de TDAH.
À cela s'ajoute le fait que les critères de diagnostic dans les systèmes de classification psychiatrique tels que le DSM-5 ont été continuellement élargis. Le seuil de diagnostic est aujourd'hui si bas qu'il ne permet pratiquement plus de faire la distinction entre une variation du développement et un trouble nécessitant un traitement. La marge d'interprétation est très large.

Pouvez-vous donner un exemple ?
Auparavant, le diagnostic du TDAH nécessitait une perturbation plus importante dans plusieurs domaines de la vie. Aujourd'hui, selon le DSM-5, six symptômes très généraux sur neuf suffisent, tels que « perd souvent des objets », « a du mal à jouer calmement », « est facilement distrait » ou « a souvent du mal à attendre ».
Auparavant, les symptômes devaient persister de manière aiguë pendant au moins un an, aujourd'hui, le TDAH peut être diagnostiqué après six mois. Nous courons le risque que le diagnostic soit assimilé à un bilan basé sur une liste de contrôle, indépendamment de l'existence réelle d'un trouble – d'autant plus que les conflits et les chagrins peuvent également rendre les enfants impulsifs, inattentifs ou irritables. Il faut un diagnostic multiperspectif qui tienne également compte des facteurs pédagogiques, familiaux et sociaux. Ce n'est qu'ainsi que nous pourrons développer des aides utiles.
Vos déclarations vous valent de nombreuses critiques. On vous reproche de mettre en doute l'existence d'un trouble neurobiologique et, par conséquent, de nier la souffrance des enfants concernés.
Je prends très au sérieux la souffrance des enfants et de leurs familles. C'est précisément pour cette raison que je critique la pathologisation précipitée. En effet, un diagnostic peut stigmatiser, occulter les causes sociales et conduire à des traitements qui ne sont pas toujours utiles. Mon objectif est d'élargir le regard sur l'environnement, les conditions sociales et la responsabilité que nous avons en tant que communauté. Ceux qui interprètent cela comme une minimisation de la situation ont mal compris mon propos. Je ne nie pas la souffrance ni le fait que les enfants ont besoin d'aide dans ce cas précis. Je veux simplement que l'on se pose les bonnes questions.
Je considère qu'il est irresponsable d'administrer des médicaments sans accompagnement par des entretiens, une intervention scolaire et une implication thérapeutique de la famille.
Et ne prescrit aucun médicament ?
Je ne suis pas opposé au Ritalin et aux préparations similaires. Dans certains cas, ils peuvent constituer un élément utile d'un traitement, à condition que leur utilisation soit soigneusement justifiée, régulièrement contrôlée et remise en question de manière critique. Le problème réside dans la prescription quasi automatique de médicaments, sans que d'autres mesures aient été épuisées ou envisagées au préalable. Je considère qu'il est irresponsable d'administrer des médicaments sans accompagnement par des entretiens, une intervention scolaire et une implication thérapeutique de la famille. La question n'est pas de savoir si la Ritaline doit être prescrite, mais dans quelles conditions. À moins que la société ne décide d'opérer un changement de cap et d'opter délibérément pour le principe de l'arrosoir.
Que voulez-vous dire par là ?
Le médecin traitant d'une famille que j'accompagnais en tant qu'assistante sociale m'a dit un jour que beaucoup plus d'enfants pourraient bénéficier du méthylphénidate – le principe actif contenu dans les médicaments contre le TDAH – et qu'ils devraient d'ailleurs en bénéficier, compte tenu de la complexité croissante des exigences environnementales. S'il existe un outil qui leur permet d'avoir plus d'endurance et de concentration, pourquoi ne pas l'utiliser ? Le méthylphénidate a un taux de réponse élevé, beaucoup y réagissent favorablement.
Dans le monde professionnel, on exploite déjà les effets stimulants du Ritalin et autres substances similaires. On sait également que de plus en plus d'étudiants y ont recours pour être plus performants pendant les périodes d'examens. La question est la suivante : voulons-nous également établir le neuro-enhancement, c'est-à-dire l'amélioration des performances intellectuelles par des substances psychoactives, chez les enfants ? Nous devons nous pencher sur ces questions. Les ignorer n'est pas une solution, alors que, selon les régions, un enfant sur dix à huit prend déjà une telle substance.
Nulle part ailleurs en Suisse autant d'enfants ne prennent des médicaments contre le TDAH que dans le canton de Neuchâtel. Pourquoi ?
Il est impossible de se prononcer de manière définitive, mais certains indices permettent de le supposer : une orientation plus marquée vers le système de santé français, qui présente généralement une tendance plus forte à la médicalisation, ou une interdépendance traditionnellement plus étroite entre le diagnostic médical et le soutien scolaire.
Au Tessin, en revanche, on fait preuve d'une grande retenue : seuls 0,8 % des écoliers se voient prescrire des médicaments contre le TDAH.
Le Tessin est un exemple intéressant qui montre qu'il existe d'autres possibilités. D'une part, le canton est influencé par son voisin méridional, l'Italie, où le scepticisme à l'égard du Ritalin est grand et où sa prescription a même été interdite pendant longtemps. D'autre part, le Tessin s'oriente traditionnellement davantage vers des solutions pédagogiques et sociales. Le système éducatif y est globalement plus perméable, moins marqué par une sélection précoce, et l'agitation des enfants y est souvent moins considérée comme un déficit. Dans la pratique médicale également, on semble plus réticent à poser des diagnostics et à prescrire des médicaments. Cela montre que le TDAH n'est pas un phénomène scientifique clair, mais qu'il est fortement influencé par la culture.





