Juliana Nikolla-Llukes, 40 ans, assistante sociale, et son mari Niko, 45 ans, architecte, vivent à Winterthur (ZH) avec leurs enfants Jon, 4 ans, Zana, 7 ans, et Andre, 9 ans.
Mes parents avaient 20 ans lorsqu'ils ont quitté l'ancienne Yougoslavie pour s'installer en Suisse dans les années 1980. Mon père avait fait ses études au Kosovo et pensait pouvoir les poursuivre ici. Mais cela n'a pas été possible et il a donc travaillé dans une usine, tout comme ma mère par la suite. Très vite, mes parents se sont retrouvés prisonniers d'un quotidien rythmé par le travail posté et l'éducation de trois enfants.
La vie que menaient mes parents ne correspondait pas à ce qu'ils avaient imaginé. Ils avaient le mal du pays. Enfant, je ressentais cette grande mélancolie. Le retour au Kosovo était un sujet récurrent. Inconsciemment, cela m'a conduit à ne pas trop m'enraciner en Suisse et à ne pas nouer de relations profondes.
Sommes-nous Albanais ou Suisses ? Il n'y a pas de réponse simple à cette question. J'ai suggéré à mon fils de neuf ans de dire qu'il était de Winterthour. Il trouve ça bien.
Comme je savais à quel point le pays d'origine était important pour mes parents, je n'osais pas leur dire que ma patrie était ici, en Suisse. J'étais tiraillé entre deux loyautés. Je voudrais épargner cela à mes enfants. Je veux leur faire comprendre qu'ils n'ont pas à choisir. Ils peuvent aimer à la fois la Suisse et le Kosovo. Sommes-nous Albanais ou Suisses ? Il n'y a pas de réponse simple à cette question. J'ai suggéré à mon fils de neuf ans de dire qu'il était de Winterthour. Il trouve ça bien.
Ne soyez pas trop dur avec vous-même
Quand j'étais enfant, nous ne parlions que l'albanais à la maison. Si mes frères ou moi prononcions un mot en allemand, nous devions rendre un franc de notre argent de poche. Lorsque nous sommes devenus parents, Niko et moi avons longuement réfléchi à la langue que nous voulions parler à nos enfants.
J'ai réalisé que l'albanais faisait partie de mon identité, mais que je ne maîtrisais pas parfaitement cette langue. J'ai décidé de ne pas être trop sévère avec moi-même. Aujourd'hui, nous parlons tantôt albanais, tantôt suisse allemand, et parfois un mélange des deux. Je ne connais pas certains mots en albanais, comme « pomme de pin » ou « pic », alors je les dis en allemand. Nous avons développé notre propre culture familiale.
C'est ce qui est formidable : je peux décider moi-même quels aspects de la culture kosovare je souhaite intégrer à ma vie et lesquels je préfère ignorer. J'aime par exemple cuisiner des plats traditionnels du pays natal de mes parents. Le ragoût de haricots, par exemple, est vraiment délicieux !