La Ritaline contre le TDAH - malédiction ou bénédiction ?
Le phénomène de l'enfant agité n'est pas nouveau. C'est ce que rappelle l'histoire des termes qui décrivent le phénomène : elle va du célèbre «Zappelphilipp» de la fin du 19e siècle au terme actuel de TDAH, en passant par le POS (syndrome psycho-organique) des années 60/70 du 20e siècle.
Le même phénomène est toujours décrit, mais à chaque fois expliqué et traité différemment. Ce qui est nouveau, c'est l'utilisation répandue de médicaments, appelés méthylphénidates (MPH, p. ex. Ritaline), pour traiter la bougeotte. Mais même cette évolution a pris du retard : Le traitement médicamenteux du TDAH a connu son premier boom dès les années 1980 aux États-Unis et a atteint l'Europe peu après.
Pour le diagnostic et le traitement du TDAH
L'abréviation TDAH désigne le trouble du déficit de l'attention avec hyperactivité et provient du diagnostic psychiatrique. L'appellation TDAH a son origine en anglais. Dans les pays germanophones, on parle souvent de ce que l'on appelle le trouble hyperkinétique.
Les deux définitions décrivent un trouble de l'attention et de l'activité de la personne concernée. Il est important de noter qu'aujourd'hui, le principe du traitement multimodal du TDAH est appliqué en pédopsychiatrie, ce qui signifie que les enfants TDAH doivent toujours bénéficier d'une combinaison de différentes mesures et traitements. En font partie, outre la psychothérapie, le conseil et les programmes d'entraînement éducatif pour les parents. Le traitement médicamenteux n'est recommandé qu'en cas de TDAH sévère.
Le traitement médicamenteux du TDAH par la Ritaline n'est recommandé qu'en cas de forte sévérité et ne constitue pas un traitement unique.
Dans ce contexte, on peut se demander comment on en est malgré tout arrivé à une forte augmentation des traitements à la Ritaline au cours des dernières années. La Ritaline, une drogue populaire ? En effet, en Suisse aussi, on fait état d'une augmentation inquiétante des traitements à la Ritaline.
Mais sur quels chiffres pouvons-nous réellement nous appuyer ? Seules des études limitées dans le temps et dans l'espace sont disponibles. Ainsi, une étude menée dans le canton de Zurich montre que les prescriptions de MPH chez les enfants en âge scolaire sont passées de 1,5 % en 2006 à 2,6 % en 2012 [1]. Les raisons suivantes sont théoriquement envisageables :
A) Davantage d'enfants sont exposés :
La fréquence des enfants exposés à des contraintes a globalement augmenté en Suisse.
B) Davantage d'enfants sont diagnostiqués :
La fréquence des cas dépistés ou diagnostiqués a augmenté.
C) Davantage d'enfants reçoivent des médicaments :
La fréquence des enfants recevant une prescription de MPH a augmenté.
L'explication A (plus d'enfants sont «malades») semble peu probable, car il est peu probable que le nombre d'enfants atteints double en l'espace de quatre ans sur la base de données provenant d'autres pays. Les explications B et C sont plus plausibles : ces dernières années, davantage d'enfants scolarisés ont reçu un diagnostic de TDAH, par exemple suite à des examens plus fréquents, et/ou une proportion croissante d'enfants diagnostiqués ont été traités par des médicaments.
La variante C2 semble peu probable, car la prescription du médicament est effectuée dans la majorité des cas par un médecin spécialiste. Il est important de noter que l'augmentation des traitements MPH n'est pas nécessairement due à une modification des préférences de traitement dans le sens de «plus de médicaments», elle peut aussi s'expliquer uniquement par un nombre accru d'investigations ou de cas diagnostiqués.
TDAH et médicalisation
Les résultats de cette brève digression indiquent que l'importance croissante du TDAH chez les enfants scolarisés n'est pas uniquement due à une plus grande sollicitation des enfants. Il semble plutôt que l'entourage des enfants, c'est-à-dire les parents et les enseignants, réagissent aujourd'hui différemment à un phénomène qui a toujours existé. De nos jours, on réagit souvent de manière «thérapeutique» ou «médicale» à un comportement qui n'est plus jugé acceptable dans sa manifestation.
C'est ici qu'intervient la théorie sociologique de la «médicalisation». Ce terme désigne la thèse selon laquelle les comportements et les vécus remarquables sont expliqués comme l'expression d'un trouble de la santé et traités médicalement. La perspective historique joue ici un rôle important : il s'agit de comportements qui, autrefois, n'étaient pas considérés comme un problème de santé ou une maladie, mais comme un problème disciplinaire, éducatif ou encore comme une fatalité de la vie.
Les parents, mais aussi les enseignants, réagissent aujourd'hui très différemment à un phénomène qui a toujours existé.
Désormais, ces phénomènes sont rendus accessibles à la médecine et catégorisés par un diagnostic spécifique. L'Académie Suisse des Sciences Médicales a décrit la médicalisation de manière pertinente comme suit : «On parle de médicalisation lorsque, par exemple, le stress au travail ou le surmenage dû à la garde des enfants entraînent des symptômes qui sont traités médicalement ; autrement dit, lorsque, au lieu de s'attaquer aux causes sociales, la résolution des problèmes est transférée à la responsabilité des médecins» [2].
La thèse de la médicalisation a été développée par le sociologue américain Peter Conrad. Il a décrit les moteurs suivants de la médicalisation : premièrement, le développement du diagnostic psychiatrique. Le nombre de diagnostics a presque triplé entre 1952 et 1994, passant de 102 à 297.
Deuxièmement, parallèlement, les premiers médicaments psychotropes sont apparus sur le marché à partir des années 50 et ont pu être utilisés pour traiter les souffrances psychiques. Enfin, le comportement des patients potentiels a également changé : Ceux-ci sont aujourd'hui également des consommateurs sur le marché de la santé, ils sont informés et veulent prendre des décisions de manière aussi autonome que possible.
Dans ce contexte, les spécialistes font état d'un diagnostic du TDAH qui n'est pas toujours solide, sous la pression des parents qui attendent une aide rapide pour les problèmes de leur enfant.
La série TDAH en bref
Partie 2 : Mon enfant a un TDAH
Partie 3 : Enfants malades ou société malade ?
Partie 4 : TDAH - quels sont les droits des enfants ?
Partie 5 : TDAH et école
Partie 6 : Ritalin contre le TDAH - malédiction ou bénédiction ?
Partie 7 : Diagnostic du TDAH
Partie 8 : Mon enfant a un TDAH - et maintenant ?
Partie 9 : Le TDAH et les aspects éthiques du traitement
Partie 10 : TDAH et psychothérapie
Partie 11 : Traitement du TDAH sans médicaments. De grands avantages, de petits risques
Vous pouvez téléchargerici la série en 11 parties sur le TDAH au format PDF
Conséquences
La médicalisation n'est pas quelque chose de négatif en soi. Dans le domaine des maladies psychiques notamment, on connaît aussi le phénomène quasi inverse, à savoir que les problèmes psychiques restent longtemps non traités, avec parfois de graves conséquences pour les personnes concernées. Pourtant, la médicalisation comporte des risques qu'il ne faut pas sous-estimer :
- La pathologisation d'états de souffrance qui étaient autrefois jugés graves, mais finalement banals. Le risque est alors que nous soyons de moins en moins capables de gérer des situations difficiles sans faire appel à des experts.
- L'individualisation des problèmes de comportement. L'attention se concentre sur le comportement plutôt que sur les conditions qui contribuent à l'apparition des problèmes. En ce qui concerne le TDAH par exemple, il est frappant de constater que l'on discute relativement peu de la mesure dans laquelle les exigences de l'école en matière d'attention des enfants contribuent à favoriser le diagnostic du TDAH.
- le changement de la norme sociale concernant ce qui est évalué comme un comportement «normal» ou «sain». L'OMS a défini la santé comme un état de complet bien-être physique, mental et social, ce qui va au-delà de la simple absence de maladie ou d'infirmité. Sur la base de ce critère, nous ne sommes pas toujours dans un état de bien-être maximal, mais nous ne sommes pas pour autant considérés comme malades.
Il est faux de diaboliser le traitement médicamenteux des DAH et de contribuer ainsi à stigmatiser davantage les parents.
De ce point de vue, le processus de médicalisation peut également être décrit comme un déplacement de la limite de la nécessité d'un traitement médical d'un problème vers la santé. En conséquence de ce déplacement, l'éventail des états et des comportements qui peuvent encore être considérés comme sains se rétrécit de manière générale. Mais plus cet éventail est étroit, plus le nombre de personnes ayant besoin d'un traitement est élevé et plus les mesures nécessaires sont nombreuses.
Conclusion
L'évolution des diagnostics de TDAH et le traitement des enfants concernés doivent continuer à être observés de manière critique. Il convient de tenir compte de la souffrance souvent importante des parents et des enfants : il serait faux de diaboliser par principe le traitement médicamenteux du TDAH et de contribuer ainsi à stigmatiser davantage les parents.
Il convient toutefois d'accorder davantage d'attention à la compétence de résolution des problèmes sur place, au-delà du recours à des interventions médicales ou autres interventions thérapeutiques. L'interaction entre la maison et l'école devrait être particulièrement prise en compte. Ces deux domaines sont tellement interdépendants que les interventions qui ne s'adressent qu'à l'un d'entre eux n'ont qu'un succès limité.
La question se pose de savoir comment mieux aider tant les parents que les enseignants à accompagner avec succès au quotidien les enfants ayant des problèmes d'attention - sans avoir recours aux médicaments. Il convient également d'examiner comment les exigences du programme scolaire peuvent être adaptées de manière plus tolérante et plus flexible au rythme et aux besoins d'apprentissage de ces enfants.
Qu'est-ce que le TDAH ?
Cette série en dix épisodes est réalisée en collaboration avec l'Institut de recherche et de conseil dans le domaine de la famille de l'Université de Fribourg, sous la direction de Sandra Hotz. Cette juriste dirige, avec Amrei Wittwer du Collegium Helveticum, le projet «Kinder fördern. Une étude interdisciplinaire», auquel participe également la Haute école zurichoise des sciences appliquées ZHAW. Le projet est soutenu par la Fondation Mercator Suisse.
Diagnostic du TDAH
Selon le DSM-5, pour poser le diagnostic de TDAH, il faut constater au moins six symptômes parmi les phénomènes principaux d'inattention ou d'hyperactivité/impulsivité (critère I). Les symptômes doivent être apparus au cours des six derniers mois et être d'une ampleur incompatible avec le niveau de développement de l'enfant.
En outre, quatre autres critères principaux doivent être remplis lors de la pose du diagnostic de TDAH. Des symptômes invalidants sont apparus avant l'âge de 12 ans (critère II) et au moins deux domaines de la vie sont perturbés par les symptômes (critère III) : En outre, il doit exister des indices clairs d'une atteinte dans le domaine scolaire, social ou professionnel (critère IV).
En outre, les symptômes ne peuvent pas être expliqués par un trouble du développement, une schizophrénie ou un autre trouble psychotique, ou ne sont pas déclenchés par une autre maladie mentale (critère V). La CIM-10 définit le trouble hyperkinétique «par un début précoce (généralement dans les cinq premières années de la vie), un manque de persévérance dans les occupations qui requièrent un effort cognitif et une tendance à passer d'une activité à une autre sans rien terminer ; à cela s'ajoute une activité désorganisée, mal régulée et achevée».