«Un enfant placé ne sera jamais un propre enfant»

Karin Gerber affirme qu'un enfant doit se voir expliquer, en fonction de son âge, pourquoi il ne peut pas vivre avec ses parents. La directrice du service de placement d'enfants d'Argovie parle des belles visites des parents, des sentiments contradictoires et des conflits de loyauté.

Madame Gerber, Michael et Nico vivent dans une famille qui n'est pas la leur. Comment cela se passe-t-il pour un enfant ?

Ils sont encore trop petits pour comprendre pourquoi ils ne vivent pas dans leur famille d'origine. On sait néanmoins qu'une séparation précoce est perçue comme une rupture dans sa propre biographie. La plupart des enfants placés ont en effet des parents biologiques qui les aiment autant que leur famille d'accueil. Inversement, les enfants leur sont également loyaux et attachés. Il existe des circonstances qui s'opposent à ce que l'enfant vive avec eux. Il est important d'expliquer ces raisons aux enfants en fonction de leur âge.

Cela signifie que l'enfant a de facto plusieurs parents. Qu'est-ce que cela signifie sur le plan émotionnel ?

C'est très variable. J'entends plus souvent des enfants me dire qu'ils trouvent tout à fait agréable de vivre le quotidien avec la famille d'accueil et de vivre les visites à leurs parents biologiques comme quelque chose d'extraordinaire. Mais de nombreux enfants éprouvent aussi des sentiments très contradictoires à l'égard de leurs propres parents.


Sur la personne :

Karin Gerber dirige le Fachstelle Pflegekind Aargau à Baden. L'association place des enfants en famille d'accueil et conseille et accompagne les familles d'accueil.
Karin Gerber dirige le Fachstelle Pflegekind Aargau à Baden. L'association place des enfants en famille d'accueil et conseille et accompagne les familles d'accueil.

Nico, deux ans, pleure avant de rendre visite à ses parents biologiques.

Son centre de vie est dans la famille d'accueil, et il est donc tout à fait possible qu'un enfant soit triste ou pleure lorsqu'il doit dire au revoir. Les enfants qui sont amenés à la crèche le matin pleurent aussi souvent, et une fois qu'ils y sont, tout va bien. La situation devient difficile lorsque les parents d'accueil «compatissent» trop et ont le sentiment que l'enfant n'est pas bien pris en charge par ses parents. Ils devraient toujours réfléchir pour savoir s'il s'agit vraiment de l'enfant ou de leurs propres sentiments. Mais si l'enfant est mis en danger par les visites, il faut intervenir.

Comment le remarque-t-on ?

Au comportement de l'enfant. Je me souviens d'une fillette de neuf ans qui était dans une famille d'accueil depuis sept ans et qui avait des contacts réguliers avec sa mère biologique. A un moment donné, la mère a commencé à tenir des propos négatifs sur la famille d'accueil à l'égard de l'enfant. La fillette est devenue de plus en plus renfermée et ne pouvait plus se déplacer sans souci dans la famille. Elle «étouffait» presque de cette situation. Malheureusement, le conflit de loyauté dans lequel elle se trouvait n'a pas pu être résolu et un placement dans un foyer a eu lieu.

Pourquoi n'a-t-on pas coupé le contact avec la mère dans ce cas ?

C'est difficile à dire. En principe, on accorde une très grande importance aux parents biologiques. C'est très bien ainsi, car on ne peut pas les remplacer. Néanmoins, il faut toujours regarder de près, évaluer et décider ce qui est favorable à l'enfant en question.

Pour quelles raisons une famille accueille-t-elle un enfant placé ?

Nombreux sont ceux qui souhaitent assumer une tâche sociale, qui ont de la place et du temps à y consacrer. Les intérêts financiers ne devraient pas être au premier plan. L'attitude qui consiste à gagner accessoirement un peu d'argent avec un enfant placé n'est pas la bonne. Comme il s'agit d'une tâche hautement responsable, il faut y regarder de plus près, même si le désir d'enfant n'est pas satisfait. Un enfant placé ne sera jamais un propre enfant.

Est-il plus difficile de trouver une famille d'accueil pour des enfants plus âgés ?

Non, même les enfants scolarisés sont encore faciles à placer. Cela devient plus difficile avec les adolescents. À cet âge, on se détache généralement de la famille. S'intégrer dans une nouvelle ne correspond pas à l'évolution. Mais il existe aussi des parents d'accueil qui accompagnent très volontiers les jeunes dans leur vie d'adulte.

Quand est-il recommandé de placer un enfant en institution ?

Plus les parents biologiques perçoivent les parents d'accueil comme des concurrents, mieux l'enfant sera servi par un placement en institution. De même, si un enfant présente, en raison de sa biographie, un comportement qui dépasse le cadre familial - par exemple la violence -, on ne rend justice à personne en le plaçant dans une famille.

Que faut-il pour qu'un enfant puisse retourner dans sa famille d'origine ?

Si un retour dans la famille d'origine est envisagé, il convient de travailler au préalable avec les parents sur leurs déficits afin de pouvoir y remédier dans un délai convenu. En fin de compte, c'est l'APEA qui décide si l'environnement est favorable ou non au développement de l'enfant.

Combien de retours d'enfants placés en permanence avez-vous personnellement connus ?

Depuis quinze ans que je travaille dans ce domaine, très peu.


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