Naches et Yiches
Il y a longtemps, j'ai écouté une conférence dans laquelle il était question de deux mots yiddish différents : Naches et Yiches. Comme on le sait, le yiddish n'a que peu de mots pour la politique, la stratégie et le pouvoir, mais il en a trois fois plus que l'allemand pour les relations humaines. Naches et Yiches décrivent, si je me souviens bien, les deux mondes émotionnels très différents des enfants et des parents : la joie des parents pour les enfants (Naches) et celle des enfants pour les parents (Yiches).
Ce sont - tous ceux qui ont des enfants et des parents le savent - deux choses complètement différentes. L'amour pour un enfant est l'une des choses les plus tenaces qui soient. Il est comme une bouteille en plastique, on peut la jeter par la fenêtre d'un immeuble, la piétiner, l'ignorer - elle sera endommagée mais ne se dissoudra pas.
Cela ne veut pas dire que l'on ne peut pas éprouver des sentiments profonds d'aversion, voire de haine, envers son enfant ; on peut aussi - comme le montrent les recherches de la sociologue israélienne Orna Donath - regretter d'être parent et pourtant aimer ses enfants et ne pas imaginer une vie sans eux.
La particularité de l'amour pour les enfants est qu'il ne doit pas être réciproque. Cela signifie que, contrairement à l'amour romantique, il ne nécessite pas d'amour réciproque. Bien sûr, cela me touche quand ma fille me dit qu'elle m'aime. Mais elle n'est pas obligée de le dire.
En fait, elle n'est pas obligée de m'aimer non plus. Je l'aime quand même. Peu importe qu'elle oublie tout son texte lors de la représentation théâtrale de sa classe ou qu'elle ne trouve pas une note dans l'audition de flûte - nous éclatons de fierté. Parce que nous l'aimons.
L'amour pour l'enfant est l'une des choses les plus tenaces qui soient.
Pas pour ce qu'elle fait ou peut faire, mais pour celle qu'elle est. Notre enfant. Ce sentiment particulier est appelé Naches en yiddish. A l'opposé, il y a le yiches : la joie que ressentent les enfants face à leurs parents. C'est également un sentiment, mais en termes de consistance et d'expression, il se rapporte à l'amour des enfants comme l'eau se rapporte au lait.
Les deux sont des boissons, mais personne ne les confondrait. Enfant, mon enthousiasme pour ma mère se manifestait surtout par le fait que je me sentais en sécurité avec elle, que je n'avais pas peur d'elle, mais que je ne ressentais pas non plus le besoin de lui plaire.
En semaine, lorsque nous voulions sortir le soir alors qu'il était déjà trop tard, nous allions dans le salon et demandions la permission. Notre mère était assise sur le canapé. Elle soupirait, se penchait en avant, sortait une cigarette de son paquet, l'allumait et se penchait en arrière. Ce geste sans parole signifiait : il est trop tard, mais je suis contente d'avoir une soirée pour moi.
J'ai enfourché mon vélo et suis allée voir mon ami. Le fait qu'elle m'ait permis de le faire, qu'elle m'ait fait confiance, mais aussi que sa vie ne concernait pas seulement nous, les enfants, mais aussi elle-même, m'a donné un sentiment de yiches. La joie que les parents peuvent offrir à leurs enfants.