«Madame Rösler, que fait la crise de Corona à l'égalité des chances à l'école ?»
Madame Rösler, à quoi ressemble votre quotidien en ce moment ?
Il se compose principalement de demandes des médias, d'interviews et de vidéoconférences. Je passe beaucoup de temps à l'ordinateur et au téléphone.
Et combien de temps consacrez-vous à aider vos filles sur le plan scolaire ?
Relativement peu de choses. Ils ont 15 et 13 ans et sont assez autonomes, cela se passe plutôt bien. Mon mari et moi les aidons de temps en temps, mais pas plus qu'avant. Cependant, la situation est très différente d'avant. Tout le monde est à la maison, il faut structurer le quotidien professionnel, scolaire et familial de manière totalement différente.
De nombreux parents sont dépassés par cette situation. Le mot «burnout» circule déjà.
On veut soi-même être productif au bureau à domicile, les enfants doivent faire leurs tâches. De plus, ni les parents ni les enfants ne quittent régulièrement la maison. Il est donc compréhensible qu'un jour ou l'autre, une certaine angoisse s'installe.

Concrètement, combien de temps les parents doivent-ils investir dans la scolarisation à domicile de leurs enfants ?
Tout d'abord, je préfère parler d'enseignement à distance plutôt que de «homeschooling». Ce dernier est le cas lorsque les parents instruisent délibérément leurs enfants à la maison et renoncent à l'enseignement dispensé par des enseignants. Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit dans la crise actuelle. La tâche des enseignants est de donner aux enfants une structure aussi bien que possible et de les occuper avec des tâches utiles, et non de faire passer à tout prix la matière scolaire régulière. Il ne sera pas possible de traiter tous les thèmes à venir exactement de la même manière que dans un cours normal. C'est pourquoi, en tant que mère et père, il ne faut pas s'affoler à la maison. Il s'agit de circonstances particulières, tout le monde en est conscient. Si les enfants ont un «coup de mou» et ne sont pas très motivés, je prendrais si possible des dispositions pour que les devoirs soient résolus à un moment ultérieur. On peut aussi prendre contact avec l'enseignant et discuter ensemble des tâches que l'on peut laisser de côté. Travailler à la maison exige aussi beaucoup d'autodiscipline, de responsabilité personnelle et de concentration de la part des élèves - il faut simplement en être conscient et réagir de manière appropriée.
Selon des études, il n'y a guère de pays où la réussite scolaire est aussi fortement liée à l'origine et au foyer parental qu'en Suisse. L'ère de l'enseignement à distance va-t-elle encore creuser le fossé entre les élèves les plus forts et les plus faibles ?
Cela dépend beaucoup de la durée de la crise. Après plusieurs mois, l'écart se creusera effectivement de plus en plus.
Y a-t-il un moyen d'y remédier ?
C'est très difficile dans la situation actuelle. Les enfants moins performants, en particulier, ne sont souvent pas aussi autonomes et travaillent mieux lorsqu'ils ont un contact direct. Que faire par exemple en tant qu'enseignant lorsqu'un enfant n'est tout simplement pas joignable et que les parents ne le sont pas non plus ? On a les mains liées. Mais les enseignants doivent bien sûr essayer de maintenir autant que possible le contact avec les enfants et, si nécessaire, de l'exiger. Ils ont également pour mission de contrôler si les enfants rendent leur travail, de donner un feed-back et d'insister sur les accords passés. C'est parfois très difficile, surtout si l'infrastructure n'est pas disponible à la maison ou si l'on ne veille pas à ce que l'enseignement à distance fonctionne. Il est certainement important que les enfants remarquent que les enseignants s'occupent d'eux, dans la mesure du possible.
Quel est, selon vous, le risque que certains enfants soient totalement laissés pour compte ?
Là encore, plus c'est long, plus c'est difficile. Il faut dire qu'il y a aussi des enfants moins performants dont les performances ne sont pas forcément liées à un manque de soutien à la maison. Mais eux aussi, plus le temps passe, plus ils risquent d'être à la traîne.
Peut-on rattraper de tels enfants en revenant à l'enseignement présentiel ? Comment ?
Lorsque l'école reprendra son cours normal, il faudra d'abord un peu de temps pour que les classes se rassemblent et que l'excitation initiale retombe. Ensuite, on verra bien qui a travaillé comment à la maison et qui a perdu du terrain. Je pense que des mesures de soutien supplémentaires seront nécessaires de la part de l'école pour que ces derniers aient une chance de combler leurs lacunes. Dans cette phase, il sera très important de ne pas laisser les enseignants seuls, car une nouvelle dimension s'ouvrira dans les classes après la crise de Corona. Les déficits nouvellement apparus ne pourront pas être comblés dans le cadre de l'enseignement normal. Ni dans le pool de pédagogie curative déjà existant. Il faut vraiment parler de nouvelles ressources supplémentaires.
Quelle importance faut-il accorder au témoignage de l'été prochain ?
La Conférence fédérale des directeurs cantonaux de l'instruction publique (CDIP) a décidé de compter l'année scolaire à part entière et d'apposer sur les bulletins scolaires une mention indiquant qu'il s'agissait d'une situation exceptionnelle. En fin de compte, tout le monde est logé à la même enseigne : tous les élèves sont concernés, quels que soient leur milieu, leur âge et leur année scolaire.
Mais certains sont particulièrement touchés : ceux qui ont quitté l'école cet été et qui n'ont pas encore de solution de raccordement à la 9e année.
Selon la plateforme d'apprentissage Yousty, plus de 15 000 places d'apprentissage sont encore disponibles pour l'été 2020. On est en train de chercher les solutions les plus appropriées pour les remplir et pour que les personnes à la recherche d'une place d'apprentissage puissent encore trouver un emploi. Tout le monde est conscient que ces jeunes ont maintenant besoin d'encore plus de soutien et d'initiative personnelle qu'en temps normal.
Voyez-vous une opportunité dans cette période difficile ?
J'y vois une occasion de ralentir un peu la vie de famille et de passer ensemble des moments non programmés. Il faut en profiter, si c'est possible. En outre, en tant que parents, on peut désormais avoir un aperçu plus approfondi du comportement de travail et d'apprentissage de ses propres enfants, ce qui permettra peut-être d'éclairer un peu le travail et le quotidien des enseignants.
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