L'angoisse pour maman - quand les enfants soignent
Madame Leu, depuis quatre ans, vous faites des recherches sur les enfants qui s'occupent de leurs parents gravement malades - les «Young Carers».
Dans notre recherche, nous prenons en compte les enfants, les adolescents et les jeunes adultes de moins de 25 ans. Ils assument régulièrement des tâches de soins pour un membre de la famille atteint d'une maladie physique ou psychique - soit pendant de nombreuses années, soit de manière brève et intensive, par exemple dans une situation palliative, lorsqu'un parent décède. Dans la plupart des cas, ces enfants s'occupent de leurs parents (50%), moins souvent de leurs frères et sœurs (30%) ou de leurs grands-parents (3-4%). Souvent, ces enfants sont trop peu considérés. Pourtant, leur charge peut être si importante que leur propre bien-être en pâtit.
Les enfants de parents malades entendent rarement la question : «Comment vas-tu ?»
Dans le cadre d'un sous-projet, vous avez interrogé des spécialistes de l'éducation, de la santé et du social. Que peuvent-ils apporter au sujet ?
Nous le savons grâce à la recherche internationale : si les professionnels ne sont pas sensibilisés, ils ne peuvent pas identifier les jeunes. Cela n'est pas seulement dû au fait que les enfants concernés se cachent par peur des conséquences, mais aussi à notre système centré sur le patient: les médecins ne savent souvent pas combien d'enfants ont leurs patients, quel âge ils ont ou ce qu'ils font. Les enfants de parents malades entendent souvent ce qu'ils doivent faire, mais rarement la question : «Comment vas-tu ?» Cette petite question pourrait changer tellement de choses. Nous aimerions que les professionnels perçoivent les enfants concernés.
Combien d'enfants assument un rôle de soutien en Suisse ?
Jusqu'à présent, les chiffres reposent sur des estimations. En fait, tout ce que nous pouvons dire, c'est que nous avons ce phénomène en Suisse. Il n'existe pas encore de chiffres représentatifs. J'ai essayé en vain de savoir combien de jeunes vivent dans une famille dont l'un des membres est malade. Nous lançons donc ce printemps une étude nationale et représentative financée par le Fonds national suisse. Dans plus de 700 écoles de trois régions linguistiques, nous interrogeons environ 12 000 élèves sur ce thème. L'école obligatoire est le seul endroit où les enfants doivent être. Nous espérons ainsi recenser autant que possible tous les enfants concernés.
«Les enfants se cachent par peur et par honte»
Agnes Leu
Lorsque les enfants de parents malades se cachent, ne le font-ils pas aussi dans un questionnaire ?
Les enfants se cachent par peur et par honte. Entre 11 et 14 ans, ils veulent être comme les autres: aussi cool, sortir ou faire le même sport. À cet âge, il leur est difficile d'admettre qu'ils s'occupent d'un proche à la maison. Certains enfants ne sont pas non plus conscients que leur situation familiale est exceptionnelle. C'est pourquoi nous interrogeons tous les enfants de manière anonyme à l' aide d'un questionnaire standardisé - ainsi, les personnes concernées n'ont pas besoin de s'identifier.
Quel est l'objectif de votre recherche ?
Nous visons l'égalité des chances pour les jeunes en formation. D'une part, il faut des instruments pratiques pour pouvoir identifier les enfants concernés, d'autre part, nous voulons élaborer des mesures de soutien fiables . Il s'agit notamment de cartes de réseau très simples pour les professionnels ou d'une liste de choses à faire pour les jeunes. Une jeune femme de 17 ans s'est par exemple chargée des injections d'insuline chez son père mourant en suivant les instructions du médecin de famille. C'est lors d'une de ces injections que son père est décédé. Le médecin de famille n'était pas joignable. Pour elle, cela a été traumatisant. Nous voulons éviter que de telles tâches soient confiées aux enfants. Et ils doivent savoir comment réagir en cas d'urgence. Nous souhaitons également offrir aux enseignants des instruments leur permettant de reconnaître les enfants concernés dans leur classe. Ces enfants sont parfois victimes de harcèlement - même de la part de l'enseignant, parce qu'il ne réalise pas pourquoi l'enfant est si différent.
«Les enfants doivent savoir comment réagir en cas d'urgence».
Agnes Leu
Quels sont pour vous les résultats les plus importants à ce jour ?
En Suisse aussi, il y a des enfants et des adolescents qui doivent concilier formation et rôle de soignant. Les études montrent qu'ils jouent souvent un rôle important de médiateur entre toutes les personnes impliquées. Ils informent certes, mais n'ont pas leur mot à dire dans les décisions. Dans les interviews personnelles, nous avons en outre appris que beaucoup de ces enfants aimeraient poursuivre leur scolarité. Souvent, cela n'est pas possible pour diverses raisons. Mais nous avons aussi constaté un fait étonnant : beaucoup de ces jeunes savent gérer la situation et sont très performants.
Comment les jeunes font-ils face à ce défi ?
Dans notre dernier numéro, nous vous présentons un reportage touchant sur Guilia (voir photo), dont la mère tombe soudainement gravement malade. Commandez notre magazine de mars et lisez cette histoire.