Dans la maison du futur
L'un des plus beaux textes destinés aux parents est le poème de Kahlil Gibran «Sur les enfants». «Vos enfants ne sont pas vos enfants (...), leurs âmes habitent la maison de demain, que vous ne pouvez pas visiter, même pas dans vos rêves», peut-on y lire. Je ne saurai donc jamais dans quelle pièce mes enfants vivront dans la maison du futur. Mais j'ai une assez bonne idée de ce qui marquera leur génération : le smartphone.
Mes enfants font partie de ce que l'on appelle l'iGen. Il s'agit des enfants nés entre 1995 et 2012, qui ont grandi avec les smartphones et les médias sociaux. La professeure de psychologie Jean M. Twenge a récemment expliqué dans un article très discuté comment la révolution numérique modifie exactement l'adolescence. Elle se réfère à des statistiques collectées en Amérique. Mais les changements peuvent concerner toute société marquée par les smartphones.
Les adolescents d'aujourd'hui sont différents des précédents à bien des égards.
Twenge observe que les adolescents d'aujourd'hui se portent mieux à certains égards que les générations précédentes. Ils ont par exemple moins d'accidents de voiture et moins de problèmes avec le tabac et l'alcool. En revanche, ils se sentent mal psychologiquement, car les taux de dépression et de suicide chez les adolescents ont explosé. Les adolescents de l'iGen sont plus dépendants de leurs parents que les générations précédentes, ils sortent moins seuls, ils sortent moins, ils apprennent à conduire plus tard, ils ont moins de jobs de vacances. Ils sont également moins actifs sexuellement.
Ce qu'ils font de leur temps est évident : ils sont seuls dans leur lit - avec leur smartphone. A une époque où ma génération ne souhaitait rien d'autre que de se mettre la tête à l'envers avec d'autres adolescents, l'iGen se met la tête dans le smartphone. Et cela les rend malheureux : plus les adolescents passent de temps sur leur téléphone portable, moins ils sont heureux. Les filles sont encore plus touchées que les garçons, car elles sont aussi plus souvent victimes de cyberbullying.
Ce sont des observations douloureuses. Toutefois, l'auteur Twenge n'éclaire qu'un côté de la médaille. Si je me souviens de ma jeunesse, la révolution numérique a aussi des aspects positifs. Dans les années 80, j'aurais désespérément voulu avoir quelque chose comme Spotify pour trouver la musique que je voulais écouter. Au lieu de cela, j'ai attendu des heures et des heures devant la radio pour appuyer sur Record au bon moment, c'est-à-dire lorsque ma chanson était enfin diffusée. Aujourd'hui, mon fils peut produire lui-même des tubes avec son smartphone. Ma thèse est donc la suivante : si un enfant a une base sociale stable et des intérêts créatifs, alors le smartphone est plus une bénédiction qu'une malédiction.
Il y a aussi de l'espoir pour les iGen.
Je sais toutefois à quel point surfer sans cesse sur les médias sociaux peut rendre dépendant. Je sais aussi qu'il est parfois difficile pour les enfants de renoncer à leur smartphone et de faire autre chose. Mais en insistant un peu, on y arrive. Tant que l'on n'est pas trop à l'aise pour intervenir - parce que l'on a soi-même constamment les yeux rivés sur son téléphone portable -, il y a aussi de l'espoir pour l'iGen. Car elle aussi a droit à une jolie chambre lumineuse dans la maison du futur.