Comment parler de la crise des réfugiés aux enfants ?
La crise des réfugiés nous laisse sans voix et sans espoir. Comment les parents peuvent-ils expliquer à leurs enfants ce qui se passe actuellement ?
Nicole Langenegger : Pour les enfants, le jeu de rôle est un bon moyen d'aborder des sujets difficiles. Dans leur vie quotidienne, ils reproduisent souvent des situations éprouvantes, par exemple avec leurs poupées. Pour les parents, c'est une bonne occasion d'atteindre l'enfant au niveau émotionnel et de parler avec lui de ce qu'il ressent.
Comment les parents doivent-ils parler à leurs enfants ?
Eva Zoller Morf : En essayant également de transmettre des connaissances factuelles, si cela est possible. Un jeune m'a récemment demandé si l'État islamique allait commettre des attentats chez nous, en Suisse. On pourrait par exemple répondre à cela : ce n'est certes pas exclu, mais heureusement, il semble que nous n'ayons pas encore à craindre autant de tels attentats dans notre pays. Et nous pouvons aussi leur expliquer que chez nous, le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) émet des recommandations sur les pays dans lesquels il ne faut pas se rendre en raison du risque terroriste. Nous expliquons ainsi qu'il s'agit d'informations qui nous aident et sur la base desquelles nous pouvons agir.
«Il est en tout cas important d'être à l'écoute de l'enfant lorsqu'il exprime des questions inquiètes».
Et si les faits sont très minces ?
Zoller Morf : Il est en tout cas important de tenir compte de l'enfant lorsqu'il exprime des questions inquiètes. En ce qui concerne la situation actuelle avec les réfugiés, on peut aussi, en tant que parents, poser des questions contradictoires, comme par exemple : "Comment se fait-il que l'enfant ne soit pas là ? Pourquoi penses-tu qu'ils ont tous dû fuir leur pays ? Qui s'embarque sur un bateau aussi surchargé ? Et pourquoi ? Qui prendrait cela sur lui ? Et si l'on évoque ensuite la guerre dans les pays d'où les réfugiés affluent vers nous, on peut continuer à poser des questions : qu'est-ce que cela signifie lorsque la maison est détruite, que l'on n'a plus de lit, plus d'eau courante ? Les enfants peuvent ainsi mieux comprendre pourquoi ces familles fuient vers l'Europe. Il ne s'agit certainement pas de grossir les choses, mais d'aider les enfants à mettre des mots sur ce qui est terrible. Les parents peuvent aussi montrer à l'enfant qu'il n'est pas facile de trouver des réponses, mais qu'ils prennent ses questions très au sérieux.
Et si les enfants et les adolescents sont déjà très compatissants et tristes parce que ces enfants réfugiés vont si mal ?
Zoller Morf : Ces sentiments ne devraient en aucun cas être refusés aux enfants. Exprimer son propre désarroi, que l'on ressent en tant que mère ou père, est également tout à fait judicieux. Nous pouvons également discuter avec l'enfant des possibilités d'aide, par exemple des actions de dons ou de collecte. Les enfants deviennent ainsi capables d'agir. Et cela peut aussi être l'occasion d'apprécier à quel point nous sommes bien ici.
Langenegger : Demander à l'enfant est extrêmement important. Cela permet de se rendre compte de ce que l'on peut exiger de l'enfant. Car lorsque les enfants posent des questions, ils ont aussi des réponses quelque part en eux. Si l'enfant veut donner des jouets à lui, les questions pourraient être les suivantes : Gell, tu voudrais que le sort de ces enfants réfugiés soit meilleur ? De quoi penses-tu que ces nombreuses personnes, qui n'avaient guère de place sur le bateau, ont emporté en premier ? De quoi ont-ils le plus besoin ?
Zoller Morf : Il s'agit en tout cas de se solidariser avec les sentiments de l'enfant et de lui faire comprendre qu'il est absolument normal d'avoir ces sentiments.
«Lorsque les mères et les pères enjolivent les choses, les enfants apprennent surtout que leurs parents ne sont pas honnêtes».
Que répondent les parents lorsque les enfants demandent pourquoi des gens font la guerre ou s'écrasent dans des tours et entraînent d'autres personnes dans la mort ?
Zoller Morf : En effet, nous ne pouvons généralement pas expliquer aux enfants la complexité des causes des guerres et des attentats. Mais un enfant comprendra si nous lui disons : pour moi aussi, il est souvent incompréhensible que de telles horreurs se produisent. Et nous pouvons alors peut-être lui expliquer qu'il y a des gens qui portent une telle colère en eux et qui sont tellement défavorisés qu'ils sont capables d'actes tout à fait terribles.
Langenegger: Il ne s'agit donc pas en premier lieu de rendre la guerre totalement compréhensible pour les enfants. Dans le sens de : Moi, en tant que mère ou père, je connais la solution. Il s'agit plutôt de chercher des réponses à des questions telles que : Que faut-il pour éviter une guerre ? Pourquoi n'y a-t-il pas de guerre chez nous, en Suisse ? Dans quelle mesure la détresse joue-t-elle un rôle ? C'est ainsi que l'on peut aborder cette impuissance de manière constructive.
Zoller Morf: Et peut-être que l'on relativise aussi l'idée de ce que signifie vraiment la détresse : ne pas avoir le dernier téléphone portable n'est pas si grave que ça ...
Certains parents s'inquiètent parce qu'ils veulent préserver leurs enfants de toutes ces horreurs et leur permettre de vivre sans souci.
Langenegger : Oui, nous voulons transmettre la sécurité aux enfants. Mais la vie n'est pas absolument sûre.
Zoller Morf : Je ne considère pas qu'il soit utile d'«épargner» les enfants par principe. Si les mères et les pères enjolivent les choses, les enfants apprennent surtout que leurs parents ne sont pas honnêtes.
Vers les personnes interviewées :
Eva Zoller Morf
est philosophe de formation et propose des séminaires de philosophie pour enfants et pour la vie quotidienne aux parents et aux enseignants, ainsi qu'aux enfants et aux adolescents. Elle travaille également en tant que pédagogue indépendante en philosophie et en religion pour des associations de parents, des écoles et d'autres institutions. www.kinderphilosophie.ch
Nicole Langenegger
est créatrice de théâtre et animatrice de cours de jeu de rôle. Elle travaille dans le domaine de la pédagogie du théâtre dans les écoles. Son théâtre de marionnettes «PhiloThea» joue des pièces sur des thèmes comme la vie et la mort ou le bonheur. www.philothea.ch