Comment les enfants deviennent-ils des victimes ou des auteurs de harcèlement ?
Madame Alsaker, qu'est-ce qui fait qu'un enfant est susceptible d'être victime d'intimidation ?
Les victimes de mobbing se sentent impuissantes, désemparées, ébranlées dans leur amour-propre. Elles y réagissent différemment. Certaines évitent toute proximité avec les autres, d'autres réagissent de manière irritable ou impulsive par désespoir. Il s'agit d'une réaction au stress qu'ils subissent, mais la communauté considère souvent cela comme une preuve que la victime se comporte de manière anormale. Des études montrent que les victimes de harcèlement ne sont pas différentes des autres enfants en termes de comportement social, à l'exception du fait qu'elles se défendent un peu moins bien. Cette constatation doit être prise avec précaution, car les enfants ne sont interrogés qu'après avoir été victimes. Les déficits, quels qu'ils soient, ne suffisent jamais à expliquer le harcèlement moral. Ils peuvent toutefois augmenter le risque d'être harcelé dans certaines constellations de groupe.
De quelle manière ?
Le préjugé selon lequel certains enfants sont prédestinés à devenir des victimes de harcèlement a la vie dure. Il est typique que les gens focalisent leur regard sur les traits de personnalité et de comportement de l'enfant concerné. Cette perspective est problématique, car elle suppose que la faute incombe à la victime, mais surtout, elle n'a rien à voir avec la réalité : n'importe quel enfant peut être concerné. Mais le fait est aussi que le harcèlement fait quelque chose au comportement de la victime.

Par exemple ?
Plusieurs études ont identifié le TDAH comme facteur de risque. Les enfants souffrant de TDAH ne peuvent pas bien réguler leurs émotions, ils réagissent de manière incontrôlée et se laissent facilement provoquer. Cette combinaison fait d'eux une proie toute trouvée pour les moqueurs : d'une part, leurs crises de colère servent à amuser les autres, d'autre part, les moqueurs ont ainsi beau jeu, en cas de besoin, de rejeter la faute sur la victime. Les enfants de migrants ont également un risque légèrement plus élevé d'être harcelés, car les difficultés linguistiques rendent leur intégration dans le groupe plus difficile.
Quels sont les facteurs de risque qui font que les enfants deviennent des délinquants ?
Les harceleurs ont moins d'empathie et des valeurs morales plus faibles que leurs camarades non impliqués. En revanche, ils s'imposent facilement, cherchent le contact avec les autres et aiment diriger. Un enfant peut présenter cette combinaison de caractéristiques, mais il ne doit pas pour autant être un harceleur. Son risque de tomber dans ce rôle dépend de la constellation du groupe : Si la majorité des membres de la classe sont socialement positifs, un enfant ne pourra pas améliorer son statut social en harcelant les autres. Il manquerait de soutien et de public.
Dans quelle mesure l'éducation parentale joue-t-elle un rôle ?
Nous savons que tous les enfants présentent un comportement agressif à un moment ou à un autre de leur développement. Il est alors crucial de savoir si et comment ils apprennent à gérer cette agressivité, que les parents leur enseignent des stratégies pour résoudre les conflits et exprimer leur colère de manière à ce qu'elle ne nuise pas aux autres.
Quel est le lien entre le harcèlement moral et le statut social ?
Pas du tout. Les harceleurs sont issus de toutes les couches sociales. Même là où les ressources financières sont disponibles, il y a des parents qui manquent de temps ou d'intérêt pour s'occuper de leur enfant. Si les parents sont présents dans la vie de leurs enfants et leur permettent de faire l'expérience de l'estime, s'ils sont à l'écoute, s'ils créent un cadre pour s'orienter et s'ils fixent des limites, les enfants sont armés pour faire face à beaucoup de choses.
Les filles sont-elles différentes des garçons ?
Les filles sont moins souvent impliquées dans le harcèlement que les garçons, tant du côté de la victime que de l'agresseur. Elles font donc globalement moins preuve d'agressivité, mais lorsqu'elles le font, elles semblent préférer les formes indirectes de harcèlement, comme l'exclusion ou le rejet social de la victime. Les garçons utilisent également ces stratégies de harcèlement. Dans l'ensemble, les agressions physiques sont toutefois plus fréquentes chez eux.
Comment expliquez-vous ces différences ?
L'une des explications avancées est que les attentes stéréotypées en matière de rôles sexuels jouent un rôle. Selon cette hypothèse, les filles sont éduquées de manière à ne pas exprimer ouvertement leur colère et leur agressivité. Une autre thèse affirme que les formes de harcèlement indirect présupposent des compétences sociales et linguistiques développées et que les filles sont en avance sur les garçons dans ce domaine. Je ne suis pas convaincue, d'autant plus que les formes de harcèlement indirect apparaissent dès l'école maternelle, lorsque les compétences linguistiques et la maturité sociale ne sont généralement pas encore très développées.
Dans les interventions sur le harcèlement à l'école, un consensus semble se dégager pour ne pas punir les auteurs. Quel est le sens de cette démarche ?
L'expérience montre que les punitions ne contribuent pas à briser une dynamique de groupe négative et la structure des rôles qui y est associée. Cela ne signifie pas pour autant qu'il ne faut pas s'attaquer aux auteurs de harcèlement. Je me souviens de l'action d'une enseignante à qui un élève avait confié qu'il était harcelé sur le chemin de l'école. C'est un autre garçon qui a pris les devants. Entre-temps, les parents ont proposé à l'enfant concerné de l'accompagner lorsque l'enseignante leur a demandé de ne pas le faire. Au lieu de cela, elle est allée elle-même chercher le harceleur à la maison et lui a dit qu'elle continuerait à le faire jusqu'à ce qu'il laisse l'autre enfant tranquille. Le garçon a immédiatement cessé ses attaques.
Mais en cas de doute, c'est presque toujours la victime qui doit changer d'école ou de classe.
Alors que les parents de la victime font pression à un moment ou à un autre pour que cette mesure soit prise, ceux des harceleurs ne sont souvent même pas au courant du problème dans lequel leurs enfants sont impliqués. Pour l'école, il serait donc incomparablement plus compliqué de transférer les harceleurs. Personnellement, je serais très favorable à ce qu'une école se donne la peine d'élaborer un règlement qui permette, en cas de besoin, de transférer les mobbeurs. Je ne considère pas cette mesure comme une punition, mais comme une chance pour un enfant qui aurait de meilleures possibilités de développement dans une autre constellation de groupe.