Monsieur Roos, la famille classique est-elle en train de disparaître ?
Nous rencontrons Georges T. Roos dans son appartement ancien et cool. C'est là qu'il vit avec ses deux enfants adolescents et qu'il travaille. L'entretien a lieu à la table de la salle à manger, les photos sont prises dans le salon où, entre les fauteuils Corbusier et les nombreux livres, se trouve également une Playstation. Nous voyons bien : Le chercheur, qui connaît les mégatendances de l'avenir, est un homme qui peut tout à fait profiter du présent.
Monsieur Roos, la famille classique est-elle en train de disparaître ?
La forme sociale de la famille sera effectivement encore plus variée et différenciée que ce que nous connaissons déjà aujourd'hui. Une étude danoise estime par exemple qu'il existe 37 formes de familles différentes. C'est peut-être un peu trop détaillé, mais le fait est que les familles sont de moins en moins des constructions homogènes.
Quelle est la forme de famille que vous avez particulièrement remarquée ?
L'étude danoise mentionnée indique qu'environ 10 pour cent des dons de sperme sont d'emblée planifiés et réalisés de manière ciblée par des femmes célibataires. J'y vois un indice supplémentaire de l'absence de clarification du rôle du père. Les femmes se sont émancipées au cours des dernières décennies. Pour l'homme en tant que père et partenaire, il manque toujours les futurs modèles de rôle.
«Il manque des modèles de rôle pour l'homme en tant que père et partenaire».
Georges T. Roos, futurologue
Comment le rôle de la femme va-t-il évoluer dans les années à venir ?
Nous savons déjà que les femmes sont plus instruites que les hommes du même âge. Les femmes bien formées, en particulier, sont de plus en plus demandées dans la vie professionnelle. Cela a pour conséquence que
les femmes délèguent de plus en plus le travail d'éducation et d'encadrement à l'école, au personnel spécialisé et aux institutions. Au sens strict, le rôle de la femme ou de la mère se rapproche ainsi du rôle initial du père, qui avait délégué les tâches familiales à la mère. Avec l'indépendance accrue de la femme, ces formes sont de plus en plus acceptées par la société.
Parlons du ménage : c'est aussi une charge supplémentaire pour de nombreuses mères et de nombreux pères. Est-ce que cela sera plus facile à l'avenir ?
C'est ce que je pense. L'automatisation ne s'arrêtera pas au ménage. Il y aura des robots qui se chargeront de nombreuses tâches ménagères. Les robots de service ont le vent en poupe, par exemple dans le domaine des soins. Au Japon, des robots sont déjà utilisés pour laver les cheveux des résidents dans les maisons de retraite. Il y aura aussi des robots qui feront le ménage à notre place. A cela s'ajoutent le commerce en ligne et les services développés en raison de la mise en réseau numérique. À l'avenir, nous ne nous contenterons pas de commander des aliments en ligne et de nous les faire livrer à domicile ou de les emporter à une station de ramassage en rentrant du bureau. Nous pourrons même recevoir un menu complet sur mesure ou disposer d'appareils de cuisine capables de préparer un repas de manière largement autonome.

La forme sociale du mariage est-elle encore d'actualité à l'avenir ?
La manière dont les familles sont organisées va continuer à changer. Aujourd'hui, la plupart des enfants naissent dans le cadre d'un mariage. Mais la part des enfants nés hors mariage s'élève déjà à 20 pour cent, ce qui signifie qu'un enfant sur cinq ne naît pas dans le cadre d'une relation traditionnelle. L'âge des femmes qui donnent naissance pour la première fois continue également d'augmenter. Les femmes deviennent mères de plus en plus tard, les hommes pères plus tard. De nombreux mariages se terminent par un divorce, et l'homme et la femme forment de nouveaux partenariats. Ceci, combiné à la longévité, a pour conséquence que les enfants ont de plus en plus de parents sociaux, c'est-à-dire qu'ils sont entourés de personnes qui ont un lien émotionnel avec l'enfant. Le taux de fécondité de 1,5 enfant par femme est inférieur au taux de reproduction - c'est-à-dire que même le père et la mère ne sont pas «reproduits». Autour de ces quelques enfants se rassemblent de plus en plus d'adultes. Comme les herbes qui poussent autour des haricots (rires).
Comment cette dynamique des rôles se répercute-t-elle sur l'homme ?
Le rôle du père, au sens d'un soutien de famille traditionnel qui ne s'occupe de sa progéniture que le soir ou le week-end, est de moins en moins attrayant. Cela implique un changement de la situation professionnelle des hommes. Il n'est toujours pas facile d'adapter ou de réduire son temps de travail en tant que père. L'un ou l'autre homme peut se sentir réticent à le demander à son employeur, peut-être par peur de se heurter à l'incompréhension. Mais il ne fait aucun doute que les choses bougent. Les entreprises feraient bien de mieux tenir compte des besoins des collaborateurs dans cette phase spécifique de la vie, afin de ne pas perdre les bons éléments. Car plus la qualification est élevée, plus le risque est grand de passer à un autre employeur, meilleur.
Vous parlez des grandes entreprises.
Or, la Suisse est le pays des petites et moyennes entreprises.
Là-bas, la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale ne semble pas figurer en tête de l'agenda. C'est vrai. Pour les petites entreprises, la flexibilité est plus difficile. Avec 20 ou 25 employés, cela devient compliqué si un tiers ne veut plus travailler qu'à 60 ou 80%.

Pourtant, vous êtes convaincu que ces nouvelles formes de vie et de travail s'imposeront en Suisse ?
Ils ne peuvent pas arrêter les mégatendances. L'individualisation, l'évolution démographique, le changement de valeurs et l'évolution du rôle des femmes évoquée au début de cet article poussent dans cette direction.
Et voulons-nous une société avec de moins en moins d'enfants ?
On sait désormais que les femmes des pays qui disposent de structures d'accueil et de structures extrafamiliales suffisantes et de qualité ont plus d'enfants que celles des pays qui soutiennent les familles uniquement par des incitations financières. Cela signifie que ce qui est déterminant, c'est la possibilité de concilier travail et famille. Des études prouvent en outre que plus les structures d'accueil extrafamilial sont bonnes, plus le taux de fécondité est élevé. Et les choses ont déjà bien évolué, même si en Suisse, nous sommes encore loin des conditions scandinaves.
«L'école doit offrir une sorte d'alphabétisation numérique».
Georges T. Roos, futurologue
Les choses ont bien évolué dans les crèches, mais l'offre est encore assez pauvre dans les structures parascolaires.
C'est tout à fait exact. De telles solutions sont impératives. Différents facteurs renforcent encore cette tendance. On peut citer premièrement la bonne formation des femmes, deuxièmement le manque de personnel qualifié et troisièmement la nécessité économique d'un deuxième revenu.
On ne pourra plus se passer du revenu de la femme à l'avenir ?
Les futures générations d'actifs devront faire face à de grands défis. La situation démographique ainsi que l'augmentation des charges sociales plus les frais de santé à payer ne permettent plus aux familles de s'en sortir avec un seul revenu. Cette situation globale montre clairement que l'on ne peut pas éviter de développer des offres parascolaires.
À quoi ressemblera l'école en 2025 ?
L'école n'assumera pas seulement une grande part des fonctions d'encadrement, elle est aussi fortement influencée par les technologies de communication. Celles-ci influencent également la transmission des connaissances. Quel sens aura par exemple à l'avenir le fait de pouvoir indiquer sur une carte tous les fleuves et les lacs suisses, alors que Google Maps nous les fournit en quelques secondes sur le Smart phon e ? Le savoir évolue. L'école doit donc apprendre aux enfants à utiliser ce savoir numérique, une sorte d'alphabétisation interactive. Il sera donc moins important de dessiner correctement n'importe quel cours d'eau sur une carte aveugle, mais il sera décisif de savoir quels sont les grands cours d'eau et dans quelle direction ils coulent. En bref : il faut une compréhension globale des choses pour pouvoir voir la forêt malgré les nombreux arbres.
La connaissance d'une compréhension globale, une sorte de matrice.
Les idéaux classiques de l'éducation sont-ils de nouveau acceptables ?
Oui, j'en suis convaincu. L'acquisition d'informations L'acquisition d'informations n'est plus un sujet, ce qui est décisif, c'est de savoir ce que ces informations signifient et comment elles doivent être évaluées.
Qu'est-ce qui sera encore important ?
Une éducation créative, artistique et surtout une formation de la personnalité. Cela ne signifie pas que nos enfants doivent tous devenir des artistes. Mais le monde du travail va évoluer de telle sorte que ceux qui réussissent sont ceux qui sont capables de trouver de nouvelles voies et de développer de nouvelles solutions. Les compétences sociales, c'est-à-dire savoir motiver les gens au sein d'une équipe ou bien s'y intégrer, deviennent également importantes. Et il faut certainement savoir faire plus que simplement exécuter une tâche de manière répétitive. Car les machines s'en chargeront.
«Développer ses propres talents devient de plus en plus important pour les enfants».
Georges T. Roos, futurologue
Qu'en est-il de la compétence personnelle ?
Nous vivons déjà aujourd'hui dans une société multi-options. A l'avenir, on pourra se perdre encore plus vite dans toutes les offres, car il y aura encore plus d'options. C'est précisément pour cette raison qu'il est important de savoir dire non et de posséder une certaine autogestion. Car à long terme, on ne peut pas vivre avec des options, il faut en choisir une, même si l'on se rend ainsi «coupable» vis-à-vis de toutes les options que l'on ne choisit pas. Néanmoins, il n'y a pas d'alternative au choix.
Cela signifie aussi que les exigences en matière de développement de la personnalité d'un enfant augmentent ?
Oui, le développement de la personnalité et des talents personnels devient de plus en plus important. L'école prend-elle le relais ? Nous observons une pédagogisation croissante de l'enfance. L'idée que l'enfant puisse sauter dans la forêt dès que l'école est finie relève déjà du pur romantisme. L'enfance est de plus en plus pédagogisée. Dès l'école maternelle, l'acquisition de compétences est planifiée de manière ciblée.
Et qui en est responsable ? Le corps enseignant ?
Je crois à une plus grande différenciation des professionnels impliqués dans l'éducation et la formation - une conséquence logique qui n'est pas sans poser problème. Ce qui est problématique, c'est que la grille est de plus en plus étroite, ce qui est normal. Plus la grille est étroite, plus la probabilité d'être en dehors de celle-ci est grande.
«Le rôle du père qui ne s'occupe de sa progéniture que le soir ou le week-end est de moins en moins attractif».
Georges T. Roos, futurologue
Les femmes auront-elles la vie un peu plus facile à l'avenir ?
C'est une question délicate ! Je suis d'avis qu'en raison de l'évolution de la situation sociale de départ, la confiance en soi des femmes va augmenter. Mais tous les désavantages ne sont pas la faute des structures. Les hommes aussi rencontrent des résistances et des obstacles lorsqu'ils veulent atteindre le sommet. Pour réussir, il faut du mordant - cela vaut pour les hommes comme pour les femmes. Les modèles peuvent être utiles à cet égard.
Par exemple ?
Récemment, j'ai lu dans un journal un portrait de Nadja Capus. J'ai été impressionnée. Elle est professeur de droit pénal à Bâle et a cinq enfants avec l'écrivain Alex Capus.
Et les modèles masculins ? L'homme moderne manque largement de modèles - ce qui crée des conflits de rôles.
Je ne connais pas un seul homme qui n'ait pas une relation émotionnelle forte avec ses enfants, ou du moins qui ne le souhaite pas. Mais en fin de compte, il y en a peu qui disent que pendant les trois prochaines années, tant que mes enfants sont encore si petits, je ne travaillerai qu'à 60, 70 ou 80%. Il peut être utile de se rendre compte qu'il ne s'agit que d'une étape de la vie. Un père passe définitivement à côté de quelque chose s'il ne voit ses enfants qu'endormis. Il ne suffit donc pas d'aménagements pratiques, il faut aussi des hommes qui osent.
Sur la personne :
Georges T. Roos est un futurologue reconnu. Il a étudié la pédagogie, le journalisme et la psychologie, a travaillé comme journaliste et directeur de rédaction ainsi que comme membre de la direction de l'Institut Gottlieb Duttweiler. Il possède aujourd'hui son propre Zukunftsinstitut à Lucerne. www.kultinno.ch